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et les soins qu’il s’impose pour éviter de marcher dans les sillons de ses devanciers sont d’une délicatesse scrupuleuse au possible. Il eût été malheureux que de tels soins n’eussent pas été couronnés de succès; ils l’ont été. Il a dû faire par exemple une pietà pour le superbe hôpital de Lyon, qui, contemplé du Rhône, prend de si grands airs de palais; grave sujet qu’une pietà après toutes celles que nous ont laissées les grands artistes du XVIe siècle! Eh bien! il a réussi à produire une œuvre d’une finesse douloureuse que l’on ne peut voir sans une sorte de cuisante émotion, une œuvre pleinement pathétique avec une vibration aiguë comme un des sept glaives du Stabat. Il y a dans toutes les figures de cet artiste une grâce étudiée d’où émane un charme subtil comme un arôme, charme un peu faible parfois, mais toujours suave. Dans une chapelle voisine de cette pietà, voici une sculpture représentant Jésus entre Marthe et Marie; le sentiment en est exquis. Marthe s’avance devant le Sauveur avec le sourire cordial de l’honnête bonne volonté; Marie est restée assise, tout entière occupée à sa naïve contemplation, elle n’est que silence et regard. Il est possible de créer une Marie plus ardente, plus mystique, plus soulevée par l’aspiration, plus emportée par le magnétisme de la grande âme qu’elle contemple, il est difficile d’en représenter une plus amoureusement passive. Et quelle figure bien comprise encore que celle de sa Béatrix Portinari que possède le musée de Lyon! C’est bien cela; une lumineuse idée platonicienne qui a pris un instant la forme d’une noble Florentine et qui, tout aussitôt atteinte par la tristesse de la terre, se hâte de retourner à sa céleste essence. Que les connaisseurs au goût difficile reprochent à cet artiste, tant qu’ils le voudront, trop peu de vigueur dans la conception et trop de timidité dans l’exécution ; nous ne lui demanderons pour notre part que ce qu’il peut donner et ce qu’il possède, des idées fines, des nuances charmantes, des délicatesses exquises, et tout cet ensemble de qualités rares et choisies que nous appelons de nos jours la distinction. Nous ne pouvons passer en revue toutes les œuvres de M. Fabisch, elles sont trop nombreuses pour cela, mais nous pouvons nous dispenser de cet examen, car aucune ne nous rendrait d’autres sentimens que ceux que nous venons de montrer.

De tous ces artistes lyonnais contemporains, le plus remarquable sans conteste est M. Bonnassieux : il suffit, pour s’en assurer, d’entrer dans le nouveau palais de la Bourse, qu’il a contribué pour sa part à décorer; les œuvres de ses confrères s’effacent devant les siennes sans pouvoir soutenir la rivalité. Mieux que Flandrin, mieux que Victor Orsel, mieux que Jeanmot, M. Bonnassieux présente l’expression accomplie de ce mysticisme élevé qui a été l’âme des artistes