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petit clocher carré à la mode byzantine; c’est dommage qu’elle soit si obscure. La partie antérieure de l’église reçoit seule quelque lumière; la coupole du chœur et la demi-coupole de l’abside sont recouvertes de peintures de Flandrin que nous aurions bien voulu voir; mais nous avons trouvé ce chevet de l’église, à quelque heure du jour que nous nous y soyons présenté, enveloppé d’une telle obscurité que notre désir n’a pu être satisfait.

Si Ainay a perdu son site, il n’en est pas ainsi de la cathédrale de Saint-Jean, ravissant édifice gothique qui occupe une des positions les plus heureuses qu’ait jamais pu occuper une église. Elle est assise sur la rive gauche de la Saône, en face de Fourvières, dans une situation telle qu’elle est libre de tous côtés; derrière elle le large fleuve et ses vastes quais, devant elle tout l’espace qui la sépare de la colline, en sorte que, de quelque point qu’on la regarde, elle détache sa masse entière avec un relief admirable. Cette absence de toute enclave crée même une illusion dont elle profite encore, c’est qu’elle en apparaît beaucoup plus petite qu’elle ne l’est en réalité, et qu’elle y gagne en grâce sinon en majesté, échange qui est toujours avantageux, aussi bien pour les édifices que pour les êtres vivans. Par exemple, lorsqu’on la contemple de la rive droite de la Saône, elle se dessine avec une si mignonne netteté qu’il semble qu’un Gargantua passant par là pourrait aisément la mettre sous son bras, et que pour un moment on trouve toute naturelle l’action de ces personnages des vieilles fresques et des vieilles sculptures qui sont représentés portant des cathédrales sur la main. De cette situation était née en partie au moyen âge une cérémonie religieuse fort originale, aujourd’hui tombée en désuétude. Le collège des chanoines de Fourvières dépendait du chapitre de la cathédrale de Saint-Jean, et, pour exprimer ces rapports de suzeraineté, tous les ans au jour de Pâques, les clergés des deux églises s’avançaient, l’un sur la place Saint-Jean, l’autre sur la crête de la colline, et entonnaient simultanément l’alleluia. Tous ceux qui connaissent la situation conviendront que la cérémonie devait être fort belle et jugeront comme nous qu’on a eu tort d’y renoncer, d’autant mieux qu’elle n’était aucunement en désaccord avec l’état actuel des mœurs religieuses. La cathédrale n’a pas que le charme qui résulte de sa situation ; elle en trouve un autre dans la couleur noire dont le temps l’a délicieusement revêtue. On dirait le teint d’ébène d’une belle Nubienne dans tout l’éclat de sa jeunesse. Les théologiens prétendent que la fiancée du Cantique des cantiques doit être regardée comme la figure de l’église, épouse de Jésus-Christ. S’il en est ainsi, il ne s’en peut trouver de portrait plus ressemblant que cette cathédrale, car elle peut dire en toute vérité