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entraves, rendant impossible toute décision prompte, elle aurait exposé la république à périr sans le bon sens extraordinaire, la prudence, la sagacité et l’esprit de conciliation des hommes de ce temps. Or ces qualités, qui sont celles de l’homme d’état, étaient très répandues et, comme le dit Larochefoucauld, inculquées dès l’enfance, précisément parce qu’un nombre considérable de citoyens étaient appelés à délibérer à fond sur les affaires de l’état.

Le régime despotique crée une élite qui gouverne, mais il abaisse la masse de la nation, à qui l’on ne demande qu’une seule vertu politique, l’obéissance. Dans le régime représentatif, la nation s’occupe de ses intérêts de temps à autre, quand il s’agit de nommer des députés; le reste du temps, elle est gouvernée comme sous le régime absolu. Dans les Pays-Bas au contraire, les citoyens, ceux du moins qui jouissaient des droits politiques, gouvernaient eux-mêmes et s’occupaient constamment des affaires publiques autant que des leurs propres ; de là cette prudence et cette sagacité qu’admiraient les étrangers. Un bourgeois d’une petite ville connaissait à fond la situation de l’Europe et les idées des différens cabinets : questions d’impôts, de paix, de guerre, d’alliance, de religion, gouvernement et administration, il devait tout discuter et tout décider par lui-même. Ainsi ces institutions fédérales, qu’on a toujours critiquées parce qu’en effet elles ne donnent pas assez de force au pouvoir central, avaient cependant le grand mérite de faire des hommes. Or c’est à cela principalement qu’il faut mesurer l’excellence des constitutions : développer chez le citoyen la vertu, l’intelligence, le patriotisme, voilà l’essentiel.

Pour l’examen des affaires, les états-généraux nommaient dans leur sein des commissions ordinairement composées de neuf membres, — un pour chaque province, ce qui faisait sept, auxquels s’adjoignaient toujours le pensionnaire de Hollande et le greffier des états. La commission qui s’occupait des affaires étrangères s’appelait het secreet hesoigne (la besogne secrète). Elle fut établie d’une façon permanente à l’époque où la guerre contre l’Angleterre exigeait une action diplomatique rapide et cachée. Elle recevait les dépêches, les ouvrait et préparait les réponses. Les membres faisaient serment de garder le secret. Quand il fallait obtenir l’assentiment des villes, les collèges municipaux nommaient aussi quelques délégués qui à leur tour recevaient communication de l’affaire après avoir aussi juré le secret. Il faut dire, à l’honneur de ces députés, que les indiscrétions étaient plus rares que dans les cours[1], et que les

  1. Janiçon, qui était un contemporain, affirme que le secret fut parfaitement gardé sur l’expédition de l’Angleterre en 1688, et que de longtemps on ne sut rien des conférences tenues en 1708 à La Haye entre le marquis de Torcy, ministre de France, et les ministres des alliés pour convenir des articles préliminaires de la paix.