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indispensables à la défense, et encore leurs députés ne pouvaient voter que conformément aux instructions reçues, comme l’auraient fait des ambassadeurs, de sorte que l’autonomie provinciale restait entière. Les grands citoyens comme Olden Barneveld[1] et de Witt, nourris des traditions républicaines de Rome et de la Grèce, ne voulaient en rien diminuer les droits souverains des provinces, qu’ils s’efforçaient au contraire d’étendre le plus possible en combattant le stathoudérat et en restreignant les pouvoirs déjà si limités des états-généraux.

La même question a été débattue avec passion en Amérique entre les partisans de l’union et ceux de la souveraineté des états, puis entre les républicains et les démocrates. C’est le grand problème de la décentralisation, encore si vivement discuté aujourd’hui. On peut comprendre le gouvernement comme exercé par un homme inspiré de Dieu ou par une assemblée représentant la raison. Le roi ou l’assemblée ont alors le droit d’imposer leur volonté, puisqu’elle est supposée sage et conforme au bien général. Cette notion du pouvoir, empruntée à la Rome impériale et ravivée par les juristes, a fortifié la royauté à partir du XVe siècle ; elle a atteint son apogée sous Louis XIV et a été adoptée également par la révolution française. C’est là, on peut le dire, la notion latine de la souveraineté : elle est vraiment philosophique et rationnelle. Dans les idées germaniques au contraire, l’individu est considéré comme souverain. Il est tenu de respecter les droits d’autrui, mais l’état ne peut lui demander que ce qu’il consent à donner. Il ne doit obéissance à personne ; s’il porte les armes et s’il paie un impôt, c’est parce qu’il l’a voté. Dans ce système, l’état sort de l’union ou de la fédération volontaire. Dans les communes, les individus se gouvernent directement eux-mêmes ; ils délèguent des députés qui forment les états provinciaux, et ceux-ci à leur tour choisissent des mandataires qui forment les états-généraux.

De ce système résultent deux conséquences : premièrement le mandat impératif imposé aux députés, qui doivent se conformer aux volontés de leurs commettans sans chercher ce qui est bon et juste, secondement nécessité de l’unanimité pour toute résolution. En effet, l’individu, la commune, la province, étant absolument indépendans, ne peuvent être obligés que de leur consentement ; la majorité

  1. Olden Barneveld se glorifiait d’avoir été l’instrument dont Dieu s’était servi dans sa bonté pour donner aux états provinciaux plus d’autorité, de majesté, d’indépendance et de pouvoir. En 1654, les états de la Hollande écrivaient : « Il est notoire que les états des différentes provinces ne doivent compte à qui que ce soit au monde des résolutions qu’ils prennent dans l’exercice de leur pleine et entière souveraineté » (cité par M. de La Bassecour-Caan, Schetz. etc., p. 134). De Witt prétendait que les états provinciaux exerçaient la pleine souveraineté pour toutes les matières qu’ils n’avaient pas volontairement confiées à d’autres.