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ruinés par le fisc et écrasés par leurs maîtres, étaient ici libres, riches et fiers de leur indépendance. L’envoyé vénitien Contarini raconte qu’un fermier proposa au stathouder Maurice de lui donner sa fille avec une dot de 100,000 florins[1]. La pêche, cette agriculture de la mer, comme on l’a nommée, rapportait des trésors non moins considérables. Mille navires péchaient la baleine et surtout le hareng pour le saler d’après la méthode inventée par Beukels de Watervliet et l’expédier ensuite dans le midi en échange de vins, de la soie et des laines.

Les nombreux écrivains qui en Néerlande ont inauguré les recherches économiques[2] ont parfaitement indiqué les causes de cette prospérité qui remplit les contemporains d’admiration et d’envie. Ces causes peuvent se résumer en un mot, — liberté : liberté de conscience, qui attira en Néerlande les hommes les plus entreprenans, les plus énergiques du Portugal, de la Belgique et de France, chassés par l’intolérance, — liberté de circulation et de domicile, qui attirait tous les étrangers, — institutions libres et justice honnête qui garantissait la fortune acquise contre les usurpations des grands et les exactions du fisc, — liberté de la parole et de la presse, qui prévient les abus et assure une administration probe et équitable, — liberté du capital et en certaine mesure des échanges, qui féconde la production et facilite le commerce, — probité en affaires, qui fait naître le crédit, — intelligence et prévoyance, qui font creuser des canaux, des ports, construire des routes, aider de toute manière au transport des produits, — liberté individuelle, qui développe l’initiative et pousse au travail, en leur assurant la jouissance de leurs fruits. Sans doute les institutions politiques que nous avons décrites sont imparfaites, mais l’esprit qui les fit naître et qui leur donna la durée fut excellent. C’est l’amour de la liberté, la résolution de braver la mort pour la conserver, et en même temps un bon sens froid, une grande sagesse et un profond sentiment religieux. Les mêmes qualités qui donnèrent la victoire aux Pays-Bas dans leur glorieuse lutte contre l’Espagne leur permirent de maintenir leurs institutions républicaines sans tomber dans l’anarchie et sans se réfugier dans le despotisme.


EMILE LAVELEYE.

  1. Voyez Motley, the United Netherlands, conclusion.
  2. On peut consulter à ce sujet le travail si curieux de E. Laspeyres, Geschichte der volksioirthschaftlichen Anschanungen der Niederlœnder.