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un cheval s’échappe, on le rassemble; c’est le cas de M. Mounet-Sully : il lui faudrait de bons conseils donnés avec autorité, il lui faudrait surtout des rôles écrits dans la mesure de son tempérament. Shakspeare l’attire, involontairement il se rapproche de son répertoire, et, n’y pouvant atteindre, il tourne autour. Peut-être eût-il fait un excellent Othello, on a mieux aimé reprendre Zaïre et qu’il fût un méchant Orosmane. Singulière manie qui nous possède en France de ne jamais aborder de front certains chefs-d’œuvre; nous n’en aimons, n’en voulons que la copie, et plus cette copie est pâle et surannée, plus elle plaît à notre goût! Un comédien, après d’heureux débuts, demande à varier son thème, Othello lui conviendrait assez, et, pour répondre à ce désir jugé d’ailleurs fort légitime, tout de suite on monte Zaïre. Fassent les dieux protecteurs que jamais aucun Mounet-Sully ne rêve de se montrer au public dans Macbeth, car ce serait en allant épousseter la tragédie de Ducis qu’on s’empresserait d’exaucer son vœu.

On raconte, et ce bruit n’a plus rien qui m’étonne,
Qu’on a vu sur ces bords la terrible Iphictone.

Au théâtre, la musique est émancipée sur toute la ligne, vous ne citeriez pas une de nos scènes lyriques qui ne tienne à représenter dans leur intégrité les partitions de Mozart, de Weber et de Rossini ; mais cela ne se passe que dans le royaume de la musique, et pendant qu’à notre Académie nationale figurent les chefs-d’œuvre du répertoire étranger, des années s’écouleront avant qu’à la rue Richelieu Hamlet ait consenti à remiser l’urne voilée de deuil contenant les cendres de son père et que les trois sorcières de Macbeth aient cessé de former une seule et unique personne qui de son nom écossais s’appelle Iphictone !

Dans Zaïre, vous retrouvez Othello à chaque pas, comme vous y retrouvez Bajazet. Jamais ne fut poussé plus loin cet art du remaniement, de la sophistication, et, pourquoi ne point le dire? du plagiat déguisé sous toutes ses formes, que Voltaire, au théâtre, exerce en maître. Zaïre n’est qu’une Atalide accentuée, et cet Orosmane, qui se guindé à la férocité d’un Othello, emprunte à l’amant de Roxane sa douce plainte et son temps de soupirs amoroso. Piron avait raison d’appeler de pareils ouvrages « un salmis. » Il y a tout en effet là dedans, oui tout, même « la croix de ma mère ! » Dite par un comédien d’une moins haute expérience, la scène de la reconnaissance du père, du fils et de la fille, au second acte, risquerait d’égayer un parterre. A force de dignité, de mesure dans le geste et de sobriété dans la diction, M. Maubant sauve cette situation désormais parfaitement risible et parvient même à lui donner je ne sais quel faux air de pathétique. Ici le christianisme coule à pleins bords. Les Turcs occupaient la place tout à l’heure ; mais ils l’ont très courtoisement cédée aux chevaliers français, qui sans doute en avaient besoin pour y débiter leurs tirades. La foi des ancêtres, l’eau