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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/957

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qu’un passant secouât sur des végétaux desséchés sa pipe mal éteinte, ou que le soleil vînt à frapper un tesson de bouteille où une boursouflure lenticulaire fortuite concentrait les rayons, et même la seule chaleur solaire embrasait quelquefois la cime des arbres. L’expérience a fait depuis longtemps justice de ces exagérations, et elle a prouvé aussi qu’un feu livré à lui-même dans les champs ne tardait guère ordinairement à s’éteindre, qu’eu tout cas les populations voisines le maîtrisaient facilement.

Les personnes qui connaissent l’Algérie et les pratiques indigènes savent au contraire que les grands incendies, comme ceux de 1861, 1863, 1865, 1871, 1873, sont toujours le résultat d’actes non-seulement volontaires, mais méthodiquement exécutés. Il existe véritablement une science du feu dans laquelle les indigènes sont experts; elle a des règles et des procédés que l’on pourrait un à un énumérer. On choisit le temps et le vent, ordinairement le sirocco, qui est violent et a une action desséchante, on aménage sur le parcours des foyers combustibles que son souffle doit activer, on place aux endroits convenables des escouades d’incendiaires chargés d’alimenter, de propager et de diriger la flamme, et d’entraver au besoin les efforts de ceux qui voudraient en arrêter les progrès. C’est ce qu’ont établi les enquêtes administratives, les instructions judiciaires et les recherches opérées par les intéressés eux-mêmes. Il en résulte également, et l’exposé des motifs le constate à son tour, que les incendies volontaires en Algérie sont imputables à une double cause, l’intérêt et la malveillance.

L’incendie par intérêt a pour but de procurer des pâturages aux troupeaux. C’est le moyen immémorial qu’emploient les indigènes, et c’est un intérêt collectif qui le suggère et en profite, car )a dépaissance s’exerce en commun dans les tribus. Les incendies par malveillance servent toujours cet intérêt, et il concourt quelquefois à les rendre plus fréquens. Les indigènes possèdent dans les forêts des droits d’usage réservés par la législation, qui devait les définir et les régler, mais dont on n’a jamais fixé les conditions ; de là des difficultés presque continuelles et inévitables avec les concessionnaires. Pour se venger de ceux-ci, ils mettent le feu aux arbres, et de véritables actes d’hostilité peuvent se dissimuler parfois sous couleur de vengeance particulière; la multiplicité des incendies depuis 1860, les événemens qui les ont suivis le démontrent surabondamment, ne saurait s’expliquer par d’autres causes. La torche a pour les indigènes cet avantage d’être une arme anonyme avec laquelle on peut faire la guerre en tout temps sans la déclarer, et sans s’exposer aux périls qu’elle entraîne. Quand ils se croient assez forts, elle précède ou accompagne le fusil dans leurs mains; l’incendie est le préliminaire habituel de la révolte. Dans toutes les insurrections, ils se servent à l’envi du fer et du feu pour nous combattre. En relisant les annales de la conquête, ne voit-on pas que la torche a été employée