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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/962

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Il a une jambe infirme; mais, à en croire certains rapports, c’est un attrait de plus aux yeux de ses électeurs. En homme bien élevé et qui n’est pas du commun, il joint aux affaires la littérature et la philosophie : il écrit a d’un style doux, » il lit « d’une voix sensible, » aux séances de la société littéraire de Clermont, des discours, des dissertations, un morceau étudié « sur la patience. » Il est membre du bureau de charité : rien de plus correct et, en apparence, de moins suspect. Nommé à la législative, s’y montre-t-il tout d’abord, comme le disent ses précédens biographes, ennemi violent des ministres et du roi? Pas le moins du monde, suivant M. Mège, qui donne ses preuves. M. Mège a fort bien fait de réimprimer une comédie de Couthon, l’Aristocrate converti, qui risquait d’être fort oubliée, mais qui, composée et publiée en 1791, nous est curieuse pour l’histoire de ses idées. On devine le thème : le comte de Laurémi, « décoré des croix de Malte, du Mérite et de Saint-Lazare, » s’obstine à déplorer la perte de ses privilèges et les maux de la révolution, quand, témoin du dévoûment et des vertus civiques de son oncle, M. Dumont, « colonel de la garde nationale, » et éclairé par ses exhortations, il se convertit à la cause de la liberté. Or ce colonel de la garde nationale n’a rien de commun avec les jacobins; c’est le pur esprit de 1789 qui respire sur ses lèvres; nous sommes tous ses convertis.

Cette opinion, fort peu républicaine, est bien celle de Couthon à cette date; encore en février 1792, il écrit dans une lettre : « Je sais qu’on me fait passer dans notre ville pour un républicain, je ne devrais pas répondre; cependant, pour la satisfaction publique, je dirai, et aux méchans qui cherchent à me nuire, et aux gens paisibles qu’ils trompent, que mon opinion sur la constitution est exprimée dans le serment que j’ai fait de la maintenir. Tous ceux qui connaissent la valeur du serment d’un galant homme se contenteront sans doute de cette réponse.» Sa pétition violente à l’assemblée constituante pour réclamer d’elle sa propre dissolution aurait pu, il est vrai, paraître suspecte, mais il avait présenté d’un ton si candide son apologie ! a Moi qui abhorre toute espèce d’intrigues et de factions, qui n’existe que pour obéir à la loi, pour l’exécuter et la faire exécuter; moi qui, par caractère, par goût, par inclination, aime une vie douce et tranquille, moi qui, affligé d’une infirmité, ne puis faire un pas sans un secours étranger, moi en un mot qui passe mes jours dans l’exercice des fonctions paisibles de mon état, et qui n’use des momens qu’il me laisse libres que pour aller avec la même décence remplir mes devoirs sacrés de citoyen au milieu des amis du peuple, qui sont les miens! »

Voilà le même homme qui, député à la législative et puis à la convention, va s’asseoir auprès de Robespierre et se faire son ami. La cour n’aura pas d’adversaire plus acharné ni plus insultant; nul ne parlera plus haut du fameux comité autrichien, et ne demandera plus hautement des mesures de sûreté publique, nul ne réclamera plus impérieusement