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faux homme d’état ? S’il y a des natures qui ont besoin, comme certaines essences, d’être agitées et comme violentées pour montrer au dehors et produire leur vertu, il y en a d’autres desquelles il faudrait à tout prix écarter le trouble et le désordre extérieur, faits pour réveiller en elles leur propre anarchie et leurs mauvais instincts. Couthon était un mauvais élève de Jean-Jacques ; sans l’excitation des événemens extérieurs, il se serait contenté peut-être de déclamations et de creuses théories ; en face du tumulte, il a été tenté de l’action sans s’être fait à l’avance des opinions réfléchies et un caractère. Qui mesurera jamais quel fléau est la phrase, et quel grand rôle la phrase a joué dans l’absurde et cruel fanatisme qui est venu empoisonner l’œuvre réformatrice de 1789?

A côté des travaux de M. Francisque Mège, nous aurions pu placer les Recherches historiques sur les girondins, de M. C. Vatel. Après s’être fait le biographe érudit de Charlotte Corday, M. Vatel a réuni sur Vergniaud un nombre considérable de documens, la plupart inédits. Tout cela est un peu trop à l’état fruste : l’auteur donne tout ce qu’il trouve, sans beaucoup d’ordre ni d’étude personnelle ; c’est au lecteur à reconstruire la figure historique, on ne lui apporte que des informations. D’intéressantes curiosités s’y rencontrent, il est vrai, par exemple à propos de la légende du dernier repas girondin et du romanesque récit de Charles Nodier. L’opinion de M. Vatel éclate d’ailleurs ; il admire Vergniaud pour son éloquence, pour son âme ardente, pour ses grandes facultés ; mais il lui fait des reproches, les mêmes, à vrai dire, qu’on peut adresser à tout son parti. Les girondins ont eu de la générosité, de l’intelligence, du dévoûment, mais point assez de tout cela pour aller jusqu’à l’initiative courageuse et l’énergie. Il n’est pas sûr que l’honneur d’avoir proposé dans le procès de Louis XVI l’appel au peuple, honneur par eux revendiqué, leur appartienne ; une moitié d’entre eux ont voté la mort du roi quand ils pouvaient, en restant unis, faire triompher le vote contraire. Nous disions que l’époque révolutionnaire offre aux psychologues de nombreux sujets d’étude : le caractère des girondins est de ceux-là, d’autant plus curieux à observer qu’il correspond à des ardeurs et à une faiblesse très communes. Leur fauté a été d’admettre, en vue d’une idée louable, d’un but élevé, qu’ils n’ont pas su atteindre, des moyens blâmables en eux-mêmes, et de nature à devoir être de tout temps rejetés et réprouvés. Il n’est pas vrai qu’on puisse arriver au bien par le mal ; les girondins se sont aperçus que les lois morales, une fois violées, au lieu de s’abaisser pour livrer passage, se redressent pour réagir et se venger.


A. GEFFROY.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.