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LA
NAVIGATION HAUTURIÉRE


I.

L’art de se diriger en haute mer quand on a perdu la terre de vue est assurément un des problèmes les plus difficiles qui aient jamais été posés à l’esprit humain : aussi a-t-on mis près de trois mille ans à le résoudre. On voit, il est vrai, des sauvages étrangers à toute notion scientifique franchir dans leurs pirogues de vastes espaces, se transporter des îles Tongas aux Fidjis, des Carolines aux Mariannes avec une sûreté de coup d’œil qu’égalerait à peine l’instinct des oiseaux voyageurs, mais la constance des vents qui règnent entre les tropiques seconde merveilleusement ces traversées. Pour arriver jusqu’à la terre lointaine vers laquelle chaque année, à la même époque, il s’élance, le Polynésien n’a besoin que de se rappeler sous quel angle la brise venait, l’année précédente, frapper sa voile. Il n’en saurait être ainsi dans nos parages. Les vents y sont trop irréguliers, trop sujets à des variations que rien d’apparent n’accuse pour qu’il soit possible de conjecturer où leur souffle capricieux conduira le navire qu’il entraîne. À quel indice dès lors se rattacher pour ne pas errer au hasard sur cette plaine uniforme dont le bord paraît reculer au fur et à mesure qu’on avance ? On marche, et derrière soi on n’a pas laissé de traces ; on n’a guère par conséquent espoir d’en rencontrer. Il n’y a pas en effet de piste à suivre sur la mer. On n’en trouverait pas davantage dans le ciel. Heureusement le ciel n’a pas le morne aspect de la plaine liquide. Chaque jour, le soleil y décrit son orbe triomphal ; chaque nuit les constellations y déploient dans un ordre immuable leur réseau lumineux. En les voyant si régulièrement monter et redescendre