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pas. « Si la nature, écrivait en 1673 l’abbé Denys, nous avait donné des moyens de trouver la longitude aussi assurés que ceux dont nous disposons pour trouver la latitude, jamais, sinon par des tempêtes furieuses, il ne se perdrait de navires. » Malheureusement « quantité de beaux esprits » s’étaient sans succès occupés de la question. Améric Vespuce prétendait, il est vrai, dès l’année 1500, l’avoir résolue, à l’aide du mouvement de la lune, corso piu leggier della luna ; mais, en réalité, il avait sans profit « sacrifié son sommeil et peut-être abrégé sa vie de dix ans. » La détermination des longitudes à la mer devait faire pendant trois siècles le désespoir des astronomes, et peu s’en fallut qu’elle n’allât prendre rang, avec le mouvement perpétuel et la quadrature du cercle, parmi les questions insolubles. Force était donc en 1673 de se tenir pour satisfait quand on parvenait à déterminer sur quel parallèle on avait conduit son navire. En venant « des îles » ou pour y aller, le premier soin était de se porter à la hauteur convenable, de se mettre, suivant l’expression consacrée, en latitude. On courait ensuite soit à l’est, soit à l’ouest, toujours droit devant soi, sans se détourner un instant de son parallèle, jusqu’à ce que l’on rencontrât la terre.

Fallait-il croire, avec l’abbé Denys, a qu’en nous dérobant la connaissance des moyens qui auraient pu nous procurer sûrement et promptement une bonne longitude. Dieu avait voulu obliger les pilotes à veiller sur leur route et chasser par là de leur cœur les mauvaises pensées ? » L’excellent abbé prêtait à la Providence un souci qu’elle n’avait jamais eu. La solution du problème des longitudes était difficile ; Dieu ne l’avait pas interdite à la science par une loi fatale. De quoi s’agissait-il en somme ? D’arriver à connaître, au même instant physique, l’heure de deux points différens. Dans mainte ville de province située à l’est ou à l’ouest de la capitale, nous voyons aujourd’hui des cadrans munis d’un double jeu d’aiguilles se charger d’apprendre aux plus rustres qu’on ne compte pas à la fois la même heure à Paris et à Quimper-Corentin. L’observateur, placé sur la terre ferme, n’en était plus à découvrir en 1673 le secret que cherchait encore le navigateur cent ans plus tard. L’antiquité elle-même avait déterminé des longitudes pour des stations terrestres ; on pourrait dire qu’elle dut, dès le principe, les déterminer presque involontairement. Reportons-nous en effet au temps où tout était surprise pour l’humanité. Qu’un de ces phénomènes destinés à rentrer dans l’ordre des choses prévues vînt à se manifester soudainement dans le ciel, l’imagination des peuples en restait vivement frappée. D’accord sur l’événement, les témoins, pour peu qu’ils occupassent des stations sensiblement distantes