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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/121

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frayé la route à ceux qui, soixante ans plus tard, sont arrivés à Guanahani. Ne comparons pas du reste la découverte du Nouveau-Monde et celle du cap de Bonne-Espérance : l’une est le miracle de la foi unie au génie, l’autre est le plus grand exemple de ténacité courageuse que puissent offrir les annales humaines. Tous les marins, je l’espère, me comprendront.

Le 28e degré de latitude septentrionale semblait, au début du XVe siècle, limiter du côté du sud, à deux cents lieues environ de Ceuta et du cap Spartel, les rivages accessibles et la terre habitable. Étaient-ce bien, comme on le répète encore tous les jours, de folles terreurs qui arrêtaient le navigateur devant ce promontoire dont le nom même indiquait qu’on ne pouvait passer outre ? Du cap Noun au cap Bojador, situé cinquante-trois lieues plus au sud, on ne rencontre que des falaises escarpées ou des dunes de sable. Toute cette partie de la côte est entièrement dépourvue de végétation. Le mugissement des brisans s’y fait entendre à plusieurs milles au large. Lorsque règnent les vents d’ouest, c’est par 16 mètres de fond qu’on voit la mer briser. D’octobre en avril, on évite encore aujourd’hui soigneusement d’approcher de ces parages où la terre est presque constamment enveloppée d’une brume épaisse, et où les vents du large soulèvent en quelques heures des lames monstrueuses. Voilà ce que les explorations modernes nous ont appris sur des rivages qui ont vu périr, en moins de vingt années, une de nos frégates à voiles et trois de nos navires à vapeur. Quand le prince Henri échauffait l’ardeur de ses capitaines, quand il gourmandait, non sans quelque dureté, leur prétendue mollesse, ceux-ci avaient-ils donc si grand tort de lui répondre : « Au-delà du cap Noun, il n’y a probablement ni peuples ni villes. La terre n’est pas moins sablonneuse que dans les déserts de la Libye ; la mer est si basse qu’à une lieue de la côte on ne trouve pas plus d’une brasse de fond. Les courans vont au sud avec une telle force que, si nous dépassons le cap Noun, nous ne pourrons pas au retour les refouler. »

La sagesse même parlait par la bouche de ces marins ; heureusement elle ne réussit pas à se faire écouter. En sa qualité de grand-maître de l’ordre du Christ, le prince Henri disposait de biens considérables. Il s’était juré que ses caravelles iraient plus loin que n’avaient été u les ancêtres, » et aucune objection n’était capable de lui faire abandonner son dessein. En 1417, sa persévérance reçut une première satisfaction. Deux petits vaisseaux expédiés d’un des ports de la côte des Algarves, avec l’ordre formel de doubler le cap Noun, poussèrent enfin jusqu’au cap Bojador. Là, ils reculèrent encore une fois devant « l’agitation furieuse de la mer. » L’année suivante, une autre tentative fut faite. Jean Gonçalvez Zarco et