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Que dire de la foi avec laquelle elle a cru aux idylles de l’école de Manchester, avec laquelle elle a oublié toute l’expérience humaine pour pratiquer à tout prix le dogme de la non-intervention, et pour se persuader qu’en ayant elle-même la sagesse de préférer les profits du commerce aux pertes de la guerre, elle ne pouvait manquer en quelques années de convertir le monde entier aux vertus de la paix ? Que dire d’un bien autre sacrifice qu’elle a commencé d’offrir à l’inconnu ? — Elle a admis les femmes à siéger dans les conseils de l’enseignement primaire ; elle est sur le point d’adopter un bill qui les appelle, comme les hommes, à élire les ministres de l’église d’Écosse, et par là elle a donné des gages au parti qui la pousse à se livrer corps et âme à la politique d’émotion en ouvrant l’électorat politique lui-même au sexe féminin.


I.

On s’étonnera peut-être des symptômes sur lesquels j’appuie, et, dans ces tendances où je vois l’indice d’un changement organique, on pourra n’apercevoir qu’un simple effet des courans inévitables de notre temps ; mais peu importe l’explication à laquelle on s’arrête. Par rapport à l’Angleterre, les symptômes dont j’ai parlé signifient toujours des forces nouvelles qui ont déjà complètement métamorphosé et la constitution du pays et son âme secrète.

Quand nous parlons de la Grande-Bretagne, nous entendons par là le peuple qui a été l’initiateur de la civilisation libérale, celui qui, par ses lois et ses mobiles, est arrivé à fonder le régime de la liberté. Or c’est cette nation-là qui, pour ainsi dire, n’existe plus. L’émancipation catholique et les dernières réformes électorales ont détruit l’ancien agencement des forces sociales, et, quoique le pays soit encore composé d’élémens analogues à ceux du passé, elles en ont fait un organisme d’un genre tout nouveau.

L’Angleterre dont le monde connaît l’histoire était en apparence une monarchie représentative et en réalité une oligarchie tempérée, une société positivement gouvernée par une aristocratie héréditaire. Si elle possédait une chambre des communes, c’est que sa noblesse avait reconnu elle-même, par sa raison, la nécessité de partager le pouvoir avec le tiers-état, de se l’attacher comme junior partner. D’ailleurs les bourgs pourris, les élections en plein soleil, l’influence réelle enfin qu’avaient conservée les maîtres du sol, tout assurait en fait la souveraineté à l’aristocratie protestante, c’est-à-dire à une classe qui, par son éducation religieuse, avait un même esprit politique, qui, par sa position, était indépendante et conservatrice sans frayeur, qui, par sa culture et ses traditions, se