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perdirent la plupart de leurs troupeaux et payèrent une contribution écrasante. Ils n’en sont qu’affaiblis assurément et reparaîtront quelque jour aussi menaçans que par le passé. Sans doute aussi les Russes se souviendront alors de leur ancienne maxime, qu’une nation européenne ne peut accepter pour voisins des nomades turbulens, et qu’elle doit pousser ses frontières jusqu’à ce qu’elle rencontre des populations stables et paisibles. Cela admis, il leur faudrait placer leurs avant-postes à Meched et Hérat.

Il faut d’ailleurs reconnaître que les conditions imposées au khan de Khiva se justifient d’elles-mêmes. L’attitude des souverains du Kharizm depuis un siècle et demi prouve autant qu’il est nécessaire que les Russes ne doivent pas se fier à ces potentats indigènes ; l’histoire des trois expéditions dirigées contre eux démontre aussi combien il est malaisé de les atteindre. Il est donc indispensable que le tsar ait un pied sur le territoire de Khiva. En quel endroit du khanat convient-il d’arborer le drapeau russe ? Le général von Kauffmann dut se poser cette question. Maintenir une garnison permanente dans la capitale, c’était anéantir l’autorité du khan, assumer en conséquence la responsabilité de tout ce que les indigènes feraient à l’avenir de bon ou de mauvais. À défaut d’autre raison, le gouvernement de Saint-Pétersbourg avait d’ailleurs promis à l’Angleterre de ne pas annexer le Kharizm. Construire un fort à l’embouchure de l’Oxus eût été le meilleur parti, si ce fleuve était navigable en toute saison ; mais le delta est marécageux, insalubre ; il n’est pas plus facile d’y arriver par eau que par terre. Tout considéré, le gouverneur-général du Turkestan choisit l’emplacement de Chourakhan, sur le bord de l’Oxus, à deux étapes en amont de Khiva. De là les Russes surveilleront toutes les populations d’alentour ; leurs colonnes légères s’élanceront à la poursuite des nomades ; leurs canonnières remonteront le fleuve jusqu’à Khodja-Salé, où commence le royaume afghan. Auprès du fort que les troupes occupent déjà s’élèvera une ville nouvelle déjà baptisée du nom de Petro-Alexandrofsk, et qui deviendra peut-être plus tard la capitale d’une nouvelle province. De petits postes fortifiés la relieront, s’il le faut, aux établissemens de la vallée du Yaxartes. Enfin les caravanes qui se rendent de Krasnovodsk à Khiva ou à Bokhara sauront que sur leur route elles peuvent y trouver aide et protection. Ainsi se complète la ligne d’investissement que de Chigichlar au Thian-Shan, par Samarcande et Khodjend, les Russes ont tracée autour des états de l’Asie centrale. En un quart de siècle, ils ont avancé de 1,200 kilomètres au sud, de 1,500 kilomètres au sud-est. En résumé, il ne reste plus entre eux et l’Inde anglaise d’autres états indépendans que la Perse et l’Afghanistan.