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champ de bataille où viendront se disputer des champions voués à la défense de telles ou telles mesures particulières ; le mandat impératif s’y glisse, la nation électorale tend à devenir une simple fédération de sectes, de professions, de petites communes souveraines. Au lieu d’être gouverné par une seule raison législative résultant de la pondération de plusieurs écoles, le pays est exposé à être tiraillé de droite et de gauche par des coalitions de hasard, et à rester comme à l’encan entre Dieu sait combien de prétentions rivales, de partis-pris entêtés, de petites volontés résolues d’avance à ne pas faire de concessions.


II.

Voilà pour les institutions. Quant au travail qui se produit dans les esprits, je crois que M. Greg avait également raison de signaler comme un des écueils à l’avant la scission qui se prononce entre l’intelligence et la religion du pays ; mais ici il faut de la prudence, car, pour pouvoir apprécier ce qui caractérise l’état intellectuel de l’Angleterre, il importe au préalable de faire la part du courant général qui emporte notre époque, et qui ne dépend en rien de la tendance propre des esprits sur lesquels il exerce son influence.

Jusqu’à un certain point, le mouvement actuel des pensées dans toute l’Europe est une réaction provoquée par ce qu’il y avait d’exclusif et d’excessif dans la morale et la prudence qui nous ont fait le monde où nous vivons, et par ce côté-là il représente quelque chose de parfaitement normal, quelque chose même d’inévitable et par conséquent d’infaillible. Si les systèmes d’aujourd’hui ne sont nullement sûrs d’avoir raison par leurs affirmations, ils sont sûrs. d’avoir raison par les démentis qu’ils donnent aux systèmes d’hier et avant-hier. Je pourrais dire, comme Gamaliel, que sous ce rapport ils sont de Dieu et ne peuvent manquer de réussir, — car ce qui a produit la réaction, ce sont précisément les lois, les besoins, les sentimens humains qui se trouvaient contredits par les théories de nos prédécesseurs, par les conceptions qu’ils s’étaient formées de la vérité et de la justice. Ainsi il est facile de comprendre comment toute la philosophie novatrice de nos jours est entraînée vers l’idée d’une évolution nécessaire, d’une loi de persistance et de développement qui gouverne le monde des pensées aussi bien que celui des espèces physiques. Évidemment cette notion d’évolution n’est qu’une protestation contre le spiritualisme moderne, qui avait basé l’idée de la responsabilité sur l’idée du libre arbitre, et qui de la sorte, — par le seul fait qu’il présentait les volontés humaines comme l’effet d’une faculté de libre choix, — niait implicitement l’existence