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contre les habits de soie, tout brillans de paillettes. La langue est toujours élégante et polie ; les détails scabreux sont habilement voilés par des périphrases discrètes, et Piron rappelle seul avec Grécourt les trivialités cyniques des trouvères.

Grécourt, homme de talent doublé d’un poète obscène, est, dit l’un de ses éditeurs, une espèce de satyre qui ne se plaît qu’à effaroucher les muses. On ne peut le reproduire qu’après avoir déchiré les trois quarts de ses volumes, mais quand on a jeté dans la corbeille aux rognures les pièces trop nombreuses qui ont sali son nom, il reste quelques morceaux bien frappés qu’on lirait encore avec plaisir, s’ils ne se trouvaient pas en si mauvaise compagnie. Telle est entre autres la Linotte de Jules XXII. Il était difficile de rajeunir avec plus de malice la fable de Pandore. — Des nonnes demandent au souverain pontife l’autorisation de se confesser entre elles. — Je comprends, dit le pape Jules, qu’il y ait des péchés dont vous rougissez de vous accuser à un homme. Eh bien ! avant de vous accorder l’induit que vous sollicitez, je veux mettre votre discrétion à l’épreuve. Voilà un coffret, mais gardez-vous bien de l’ouvrir. — L’abbesse ne put fermer l’œil, et le lendemain, avant matines, elle assembla les sœurs. — Quel grand secret le pape a-t-il donc à nous cacher ? dit-elle ; pourquoi ce mystère ? ouvrir un coffret n’est pas un cas réservé ; ouvrons-le ! — Ce qui fut dit fut fait, et l’abbesse avait à peine soulevé le couvercle qu’une linotte s’échappait en sifflant, faisait trois tours dans la salle et filait à tire d’aile par la fenêtre. Le pape entre au même moment. — Eh quoi ! dit-il, mon bref s’est envolé ?

Mais vous seriez des maîtresses commères
Pour confesser ! Adieu, discrètes mères,
Onc ne sera confesseur féminin.
— Tant mieux, reprit tout bas une nonnain.
Je n’étais pas pour la métamorphose ;
Un confesseur est toujours quelque chose.

Un autre conte de Grécourt, le Solitaire et la Fortune, a inspiré à Béranger l’une de ses plus jolies chansons, ou plutôt Béranger ne fait que reproduire Grécourt dans un rhythme différent. Un solitaire, ennemi de la gêne, vit content avec ses livres, un verre et son Aminte :

Dame fortune elle-même en personne
Frappe à sa porte en lui criant : — C’est moi.
— C’est vous ? qui vous ? — Ouvrez, je vous l’ordonne.
— Il n’en fit rien. — Comment ? dit-elle, quoi ?
Vous n’ouvrez pas, vous refusez un gîte
À la fortune, et n’accourez pas vite
La recevoir ? — Je ne vous connais pas.

La déesse insiste et supplie. — Je ne peux cependant pas coucher