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au besoin de rendre témoignage pour la vérité, pour l’humanité offensée. Certes il en dit assez pour laisser voir le sentiment que lui inspire l’incendie de Bazeilles et de tant d’autres villages brûlés parce que de malheureux paysans ont voulu défendre leurs foyers. S’ils ont agi par ignorance, dit-il avec une émotion généreuse, «c’est une ignorance bien excusable. Si jamais l’Angleterre se voyait soumise aux malheurs de l’invasion, j’espère qu’on me trouverait parmi ces ignorans ! » Ainsi parle un Anglais assistant aux malheurs de la France, défendant son opinion contre des officiers allemands et ajoutant aujourd’hui une page de plus à cette tragique histoire de nos désastres.

Quand on a passé par ces épreuves, on comprend mieux les épreuves d’autrui, on ne se désintéresse pas des malheurs d’un peuple qui en est à se débattre au milieu des violences de la guerre, fût-ce d’une guerre civile. N’y eût-il pas cette raison d’humanité, ce serait encore par un sentiment politique des plus sérieux que la France serait conduite à rester fidèle à ses vieilles traditions de sympathie pour l’Espagne libérale. Comment l’Espagne sortira-t-elle de cette redoutable crise qui se déroule depuis quelques années déjà au-delà des Pyrénées, qui a pris toutes les formes pour finir par se concentrer dans une sorte de duel entre le gouvernement établi à Madrid et le prétendant don Carlos campé à la tête de ses bandes dans les provinces du nord ? C’est assurément de toute façon une question des plus graves, qui a pris récemment une certaine importance extérieure par l’intervention de la diplomatie européenne, mais qui après tout garde d’abord un caractère essentiellement intérieur. La vérité est que cette malheureuse guerre civile espagnole, au lieu de diminuer et de paraître marcher vers un dénoûment, ne fait que se développer, s’envenimer et devenir plus acharnée. On peut certainement dire que la mort du général Concha a été une fatalité. Depuis ce moment, l’armée placée sous les ordres du général Zabala est restée sur l’Èbre, se reconstituant, manœuvrant, poussant quelques pointes contre les lignes carlistes en Navarre, mais sans engager en définitive des opérations sérieuses. Moriones a livré l’autre jour un combat sur le chemin d’Estella, puis il s’est retiré aussitôt sur l’Èbre, attendant de meilleures occasions. Pendant ce temps, les carlistes ne restent pas inactifs ; ils deviennent au contraire très entreprenans : ils menacent toutes les lignes entre Madrid et le nord, si bien que d’un instant à l’autre les communications de l’Espagne avec la France peuvent être coupées. En Catalogne, ils ont pris la Seo d’Urgel, et ils assiègent Puycerda. À l’ouest, ils battent la campagne autour de Santander. Sur l’Èbre, ils ont pris la petite place de la Guardia, ils sont entrés à Calahorra, Ce n’est pas tout, le gouvernement de Madrid a pris une mesure des plus graves, il a rendu un décret en vertu duquel il emprisonne les suspects de carlisme et confisque leurs biens. Naturellement les carlistes ont riposté en confisquant les biens des libéraux dans les provinces qu’ils occupent,