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cipaient aux profits sans paraître dans les assemblées. Fermiers et croupiers tinrent pour suspecte la curiosité de l’abbé Terray et vouIurent y voir la main du roi, mais le contrat n’en fut pas moins mené à bien. Il était concédé moyennant 135 millions, et le ministre reçut pour sa part, selon l’usage, un pot-de-vin de 300,000 livres. Malgré des charges qui y furent ajoutées après coup, ce bail, les circonstances aidant, demeura favorable aux deux parties. Des calculs précis portent à 45 millions le bénéfice qu’en recueillirent les fermiers.

D’ailleurs au mois d’août 1774 Turgot prenait le contrôle général, et dès ce moment tous les détails de l’administration se ressentirent de son influence. Ne pouvant revenir sur un contrat en règle, il s’appliqua à corriger ce qu’il avait de défectueux et de plus vulnérable. C’est ainsi qu’il fit rapporter par l’abbé Terray le pot-de-vin de 300,000 livres et les distribua aux curés de Paris « pour former les avances d’un travail de filature et de tricot dont les ouvrages seraient vendus et dont le prix renouvellerait ainsi le fonds. » Pour lui-même, il refusa la pistole par million que les contrôleurs-généraux étaient en outre dans l’usage de prélever. À ce désintéressement, il ajouta les profits d’une gestion mieux entendue et plus humaine. Par les instructions qu’il répandit et la surveillance qu’il exerça, il fit faire un grand pas aux méthodes d’un bon recouvrement de l’impôt, et en améliora la partie contentieuse. En même temps il portait ses efforts sur un abus qu’il ne put extirper et dont le germe était dans l’existence même de la ferme-générale. Dans une lettre souvent citée et datée de Compiègne, il s’en plaint au roi. « Il y a, dit-il, des grâces auxquelles on a cru pouvoir se prêter plus aisément parce qu’elles ne portent pas immédiatement sur le trésor royal. De ce genre sont les intérêts, les croupes, les privilèges ; elles sont de toutes les plus dangereuses et les plus abusives. Tout profit sur les impositions qui n’est pas absolument nécessaire pour leur perception est une dette consacrée au soulagement des contribuables ou aux besoins de l’état. D’ailleurs ces participations au profit des traitans sont une source de corruption pour la noblesse et de vexations pour le peuple, en donnant à tous les abus des protecteurs puissans et cachés, » Louis XVI ne fut pas insensible à ces remontrances, mais il répondit que, par respect pour la mémoire de son aïeul, il ne pouvait retrancher aucune des grâces accordées ; il réservait seulement l’avenir, comme si l’avenir lui eût appartenu. C’était pourtant une belle occasion d’agir et de donner un grand exemple. Son règne n’eut que ce moment, bien court, hélas ! où des réfomies faites avec suite et habilement ménagées auraient pu conjurer l’orage qui déjà grondait au loin. Après Turgot, il n’y avait plus qu’à en étudier les phénomènes ou à en supporter