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vait dire un mot, faire un geste, qu’il n’eût à ses trousses tous les écumeurs des faveurs royales. Quant à Malesherbes, ses vertus juraient trop avec un siècle de dépravation pour qu’il y trouvât une place dont il n’eût point à rougir. D’aucun de ces hommes on ne tira tout le parti qu’on aurait pu et dû en tirer. Voyez pourtant la différence des temps et des caractères. Henri IV eut Sully, Louis XIV eut Colbert, qui concoururent l’un et l’autre aux grandeurs de ces deux règnes, Louis XVI eut Turgot, pour ne citer que lui, Turgot qui valait bien Sully et Colbert : il le désavoua après l’avoir encouragé et le laissa mourir sous le coup d’un démenti.

On a vu Joly de Fleury entrer au conseil royal, et c’est la monnaie de Necker qui commence et qui dès lors ne discontinue pas ; puis vient d’Ormesson, un des intendans des finances récemment supprimés, et qui dans son passage ne se signale guère que par une étourderie. On ne sait sur quel conseil il imagina de convertir la ferme en régie intéressée. C’était une bien grosse affaire, et le plus curieux, c’est qu’elle eut un commencement d’exécution. Un arrêté du conseil du 24 octobre 1783, rendu dans ce sens, fut signifié à la ferme-générale, et la modification devait avoir lieu à partir du 1er  janvier 1784. Il est vrai que les fermiers restaient chargés de la direction nouvelle ; aucun ménagement n’était épargné pour leur faire accepter les changemens imposés par le conseil : rien ne serait changé, disait-on, à leur condition antérieure, ils auraient les mêmes perceptions avec les mêmes profits, en les déchargeant de la garantie à laquelle ils étaient tenus ; seulement la durée de leur gestion serait réduite à trois ans, et sous le titre de directeurs-généraux ils n’étaient plus que de simples régisseurs.

Si dorée qu’elle fût, la pilule n’était pas moins amère ; c’était au fond une rupture de contrat et un abus de pouvoir. Les bailleurs de fonds, pas plus que les fermiers-généraux, n’étaient disposés à passer sous ces fourches caudines ; ils concevaient des craintes pour le cautionnement du fonds d’avances qui était toujours exigé des titulaires. On résolut d’agir, et une députation de trois fermiers se rendit à Fontainebleau pour soumettre des représentations au roi, qui y fit droit immédiatement, et redemanda son portefeuille à d’Ormesson. Le donneur de conseils, un commis de finance, nommé Coster, fut exilé en Lorraine par lettre de cachet ; enfin un arrêt du 9 novembre déclara que sa majesté reconnaissait le bail de 1780 comme ne contenant aucune clause qui permît d’en modifier les bases. Les fermiers avaient donc amené le ministre à résipiscence ; il n’en restait pas moins ceci, qu’à un mois de distance le roi s’était formellement déjugé, et avait dit dans une pièce revêtue de son seing exactement le contraire de ce qu’il avait dit dans une autre.