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un membre du comité des finances venait de présenter un projet de décret relatif aux fermiers-généraux. Dans un accès d’impatience, Bourdon (de l’Oise) se lève. « Voilà la centième fois, dit-il avec humeur, que l’on parle des fermiers-généraux. Je demande que ces sangsues publiques soient arrêtées, et que, si leur compte n’est pas rendu dans un mois, la convention les livre au glaive de la loi. »

Ce justicier expéditif vaut bien qu’on s’y arrête ; il était coutumier du fait, et l’avait prouvé au 10 août à la prise des Tuileries, au 21 janvier contre Louis XVI, au 31 prairial contre les girondins, toujours du côté du bourreau contre les victimes. Il ne changea même pas quand les rôles s’intervertirent ; on le vit avec les thermidoriens contre Robespierre et contre Romme et Goujon. Il ne commit qu’une faute, qu’il paya enfin de sa vie, ce fut de se déclarer au 18 fructidor contre le directoire et pour la faction de Clichy, si bien que ce pourvoyeur dévoué de l’échafaud s’en alla, un jour de la fin du siècle, mourir à Cayenne ou à Sinnamari comme déporté royaliste. Quel que fût l’homme, un mot de lui n’en fut pas moins l’arrêt de mort des derniers fermiers-généraux. Dès le li frimaire, un décret ordonnait leur emprisonnement et reproduisait les termes mêmes dont Bourdon (de l’Oise) s’était servi. Il portait « qu’ils seraient mis en arrestation dans la même maison, que leurs papiers y seraient transportés et que leurs comptes seraient rendus dans un mois, faute de quoi la convention prononcerait contre eux ce que au cas appartiendrait. » Le ministre de la justice et la municipalité de Paris ayant été chargés de l’exécution, 32 fermiers-généraux furent saisis et enfermés dans l’ancienne maison de Port-Royal. Dans les premiers jours de captivité, l’émotion chez ces prisonniers ne fut pas en raison du danger réel. Beaucoup d’entre eux trouvaient un motif de sécurité dans leur nombre même ; ils ne croyaient pas qu’on pût les frapper ainsi en masse et pour des motifs qui n’étaient pas personnels, ils crurent aux longueurs d’une instruction qui aurait dû, en légalité stricte, porter sur les individus mêmes, non sur le corps, et fournir pour chacun d’eux un nombre déterminé de charges particulières. Le vertige du temps, l’état de l’opinion, trompèrent cet espoir et ces calculs : on entrait en pleine terreur, et bientôt aucune illusion ne fut plus permise. Tout ce qu’on put faire, ce fut de gagner du temps ; on sentait déjà qu’une situation aussi violente ne pouvait durer, et qu’une réaction était inévitable. C’est ce qui explique le répit de cinq mois qui s’écoula entre l’arrestation et l’exécution ; de tels retards étaient rares alors, aussi fallut-il disputer celui-ci jour par jour par les influences de position et les subtilités de la procédure : armes bien faibles devant le déchaînement des pamphlets et les dénonciations des clubs. Du côté de la con-