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d’une espèce. Le semis devient le moyen expérimental d’apprécier cette valeur. Voyons donc ce qu’apprend le semis sur la fixité des formes chez les espèces réputées polymorphes.

La croyance ancienne et générale, même de nos jours, c’est que les formes qui constituent nos variétés ne se conservent pas régulièrement par le semis. On refuse surtout cette fixité aux variétés spontanées qui, sans la variabilité qu’on leur suppose, devraient être considérées comme des races. Or l’auteur d’un ouvrage estimé sur l’espèce, M. Godron, a pu se croire l’interprète d’une opinion bien établie, en affirmant « qu’il n’y a pas dans les végétaux sauvages, pas plus que chez les animaux, de races naturelles[1]. » C’est dire, en d’autres termes, que les variétés spontanées, telles que la nature nous les offre, restent soumises à tous les caprices de la variation et font retour vers le type dès que les causes qui les en avaient déviées cessent d’exercer leur influence. L’originalité de M. Jordan dans cette question est justement d’avoir su reconnaître et d’avoir prouvé que des formes jusqu’ici réputées de simples nuances dans l’espèce se conservent identiques à elles-mêmes pendant des séries de générations. Cette affirmation présentée avec une assurance tranchante a d’abord trouvé des incrédules : nous la croyons pour notre part excessive en tant que trop généralisée, et prenant trop la forme d’un axiome d’où l’auteur tire des conséquences très contestables ; mais la plus simple honnêteté scientifique, comme l’intérêt de la vérité, veulent qu’on vérifie l’exactitude de certains faits, alors même que ces faits dérangent l’équilibre toujours instable des idées du jour dans une science ouverte au progrès.

Le fait de la persistance par le semis de certaines formes qui semblaient n’avoir dans l’espèce que la valeur de simples nuances, ce fait est nettement établi par des expériences positives. En supposant qu’on tînt pour suspectes à cet égard, j’entends comme entachées de partialité inconsciente, les propres expériences de M. Jordan[2], le même doute ne saurait atteindre celles de MM. Verlot, à Grenoble, de M. Boreau à Angers, de M. Timbal-Lagrave à Toulouse ;

  1. Godron, De l’Espèce et des races dans les êtres organisés, Paris 1859.
  2. Voici ce que nous écrit au sujet des cultures de M. Jordan un botaniste très expert : « J’ai eu l’avantage de parcourir ces cultures, et pour moi cette immense collection de weeds (mauvaises herbes, comme diraient les gens du monde) est un spectacle des plus curieux et des plus instructifs qu’un botaniste puisse avoir sous les yeux. Lorsqu’on est en face de ce nombre prodigieux d’expériences poursuivies depuis plus de trente ans, on s’explique fort bien l’amertume et le dédain que M. Jordan apporte dans ses discussions. Expérimentalement, M. Jordan sait plus de choses que pas un botaniste, mais il a toujours répété la même expérience et n’a vu qu’un côté d’une question qui en a plusieurs. »