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Il est vrai que, sur le terrain de la botanique horticole, M. Jordan se sent assez à l’aise pour contester les assertions les plus nettes sur le caractère de race ou de variété attribué aux diverses formes de végétaux d’utilité ou d’ornement. Reprochant avec raison à la plupart des horticulteurs le peu de précision scientifique de leurs soi-disant expériences, il se sert de cette suspicion générale pour contester la valeur des assertions qui le gênent, tandis qu’il accueille avec complaisance les assertions favorables à ses vues. C’est ainsi qu’il jette des doutes sur telles expériences de Vibert, de Knight, de Sageret, démontrant l’apparition par voie de semis de variétés nouvelles parmi les variétés anciennes, et donne au contraire toute créance à Van Mons affirmant que toutes ses nouveautés en fait de poires sont sorties dès la seconde génération de sauvageons pris dans les bois et présentant déjà les caractères typiques de leurs descendans. Il faut dire que le poirier est parmi nos arbres fruitiers l’un des plus favorables à cette thèse, car c’est celui dont les variétés sont le moins fixes et retournent le plus au sauvageon lorsqu’on sème les variétés perfectionnées[1]. Mais qui pourrait raisonnablement soutenir que des races nouvelles ne se sont pas formées dans les temps modernes et surtout depuis un siècle parmi les pêches, les abricots, les oranges, arbres dont les types sauvages n’existent pas dans nos bois et chez lesquels les variétés deviennent souvent assez constantes par le semis pour que ce moyen de propagation leur soit appliqué de préférence à la greffe ? Pour ce qui est de nos vignes asiatico-européennes, la plupart passées à l’état de race, c’est-à-dire se maintenant de semis, on peut arguer de l’antiquité du plus grand nombre, déjà connues des Orientaux, des Grecs et des Romains, pour supposer que leurs types sauvages existaient jadis dans les bois : on peut ajouter que nos lambrusques ou vignes sauvages ne représentent pas un type uniforme, qu’on en trouve à fruit blanc comme à fruit noir, à saveur de muscat comme sans arôme déterminé, qu’il y a même un certain rapport général entre les vignes sauvages d’une région et les types les plus locaux de vignes cultivées ; mais d’une part rien ne prouve qu’une partie des vignes de bois ne soient pas des transfuges abâtardis de nos cultures, et d’autre part la fertilité des produits de croisement entre ces vignes y fait reconnaître plutôt des métis entre races que des hybrides entre espèces. D’ailleurs les vignes cultivées des États-Unis, dérivées en moins d’un siècle de quatre ou cinq types sauvages, sont là pour montrer combien l’art du pépiniériste était nécessaire pour donner naissance à plus de cent variétés, ou peut-être

  1. Voyez à cet égard les belles expériences de M. Decaisne.