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Choisissant avec un soin pieux et un rare discernement tout ce qui était de nature à mettre en relief la physionomie remarquable du chef de sa famille, la petite-nièce de lord Minto s’est attachée à nous faire intimement connaître, grâce à cette sorte d’autobiographie, l’homme supérieur par l’intelligence et le cœur, l’ami de Fox et de Burke, qui, tour à tour vice-roi de la Corse, ambassadeur à Vienne et gouverneur-général des Indes, a partout laissé l’idée d’un grand seigneur plein à la fois de mérite, d’honneur et d’agrément. Tel en effet il nous apparaît, non-seulement dans ses propres lettres, mais encore dans celles de toute provenance qui abondent dans les trois volumes que lady Minto a composés avec beaucoup de méthode et d’art. Il n’est pas un détail qui n’y tienne utilement sa place, tandis que par des transitions sobrement ménagées l’habile éditeur a su relier ensemble ses divers matériaux de manière que les parties biographiques, historiques ou anecdotiques s’entremêlent agréablement sans toutefois se confondre. Outre beaucoup de faits ignorés et de rectifications qui ne sont pas sans importance, le lecteur rencontrera, dans les pièces mises ainsi sous ses yeux, un accent personnel qui n’appartient qu’aux choses écrites sous l’impression du moment et dans l’expansion de l’intimité. Les confidences faites de bonne foi et de premier mouvement par les acteurs et les témoins des grands drames historiques éveillent à bon droit notre curiosité ; elles servent de plus à éclairer notre jugement, car rien n’est plus instructif que ces indiscrétions posthumes qui, si elles ont perdu leur danger, ont du moins gardé toute leur piquante saveur.

Déjà lady Minto avait acquis des droits à la reconnaissance de ses compatriotes en publiant, il y a quelques années, la biographie de son propre grand-père, l’honorable Hugh Elliot, frère cadet de lord Minto. Les lecteurs de la Revue ont pu juger, par l’appréciation qui en a été faite ici même, du caractère original de ce spirituel diplomate, « fier et flegmatique comme les enfans de sa race, brillant et léger comme ceux de la nôtre[1]. » Quoique de nature très différente, il y a entre les deux frères un véritable air de famille et des traits communs qui sont de race. Tous deux tiennent de leurs ancêtres, les chefs écossais du Border, si prompts aux coups de main, ce rapide coup d’œil et cette décision qui font lestement franchir tous les obstacles. Ils sont animés d’un pareil besoin d’action. Au dire de leurs amis anglais, ils possèdent tous deux au plus éminent degré le spirit, mot dont nous n’avons pas l’équivalent en français, car il signifie non pas l’esprit proprement dit, mais une certaine ardeur intelligente et forte, un certain montant habituel qui donne

  1. Voyez les Souvenirs d’un diplomate anglais dans la Revue du 15 mai 1869.