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contemporains à un homme modeste, et si défiant de lui-même qu’après avoir reçu tant de chaleureux complimens il écrivait encore à lady Elliot :


« … Je me sens comme un homme qui a tiré à la loterie un billet gagnant sans avoir contribué en rien à la chance bonne ou mauvaise. Souvent je pensais, avant l’événement, à ce qui m’arriverait si j’échouais, et alors je tournais mes regards vers une retraite sans soucis et sans ambition, — vers mes chemins, mes ponts, mes livres, mes bambins et mes femmes, — ce qui, après tout, ne me paraissait pas une si fâcheuse alternative pour un homme fini. »


Malgré ce succès, sir Gilbert, qui dut prendre encore la parole en différentes occasions, notamment à propos des débats sur les affaires de l’Irlande, n’était pas, somme toute, un de ces orateurs propres à entraîner les masses par le don naturel de l’éloquence. Il le sentit parfaitement, et l’effort qu’il lui fallait faire à chaque fois sur lui-même pour se décider à parler en public le portait naturellement à chercher quelque autre emploi à ses heureuses facultés. En attendant qu’il eût, comme on dit aujourd’hui, trouvé sa voie, il n’en continua pas moins à occuper la place que sa naissance et son esprit lui assignaient dans les régions les plus élégantes de la société anglaise, où tant de personnages considérables menaient alors de front les plaisirs et les affaires. C’est à ce goût pour la vie mondaine et à ces qualités à la fois aimables et sérieuses, qui firent rechercher sir Gilbert Elliot par tout ce qu’il y avait d’hommes et de femmes distingués à Londres, que nous devons la partie brillante et satirique de sa correspondance. La société qu’il fréquente y est prise sur le vif et peinte en quelques traits par un esprit modéré en tout, moral sans être trop rigoriste, et qui observe finement des travers ou des vices dont il est exempt lui-même. Peut-être trouvera-t-on que les extraits suivans des lettres de sir Gilbert sont de nature à nous fournir des points de comparaison curieux entre les mœurs de cette époque et celles d’aujourd’hui.


II.

« Le jeu et l’extravagance des jeunes gens de qualité sont arrivés à un degré inouï, » écrivait Horace Walpole en donnant sur les mœurs du temps d’étranges détails qui nous montrent Fox livré aux mains d’une troupe d’usuriers juifs. On connaît les scandales de la conduite du prince de Galles et de ses compagnons de plaisir, parmi lesquels on est étonné de voir figurer des gens que leur caractère public aurait dû préserver de pareils déréglemens. Les