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le duc de Portland, de laisser languir les affaires les plus importantes. Il ne lui déplaisait pas d’avoir des diplomates capables de se passer d’instructions et toujours prêts, comme sir Gilbert, à aller de l’avant, sur le seul espoir de n’être pas démentis.

Les lettres de sir Gilbert à lady Elliot racontent d’une manière vive ses premières impressions à l’aspect de ce pays pittoresque et de ces mœurs à demi sauvages qui lui rappellent celles de sa chère Écosse. Il l’entretient des relations qu’il a entamées avec les habitans, afin d’assurer à l’Angleterre une île dont la possession lui semble précieuse, soit comme poste d’observation, soit comme base d’opération. Par la convention passée en janvier 1794, le gouvernement britannique s’engageait à aider les Corses dans l’expulsion des troupes françaises, et l’annexion immédiate de l’île à l’Angleterre devait être le prix de cette intervention.

En attendant la mise à exécution de ses plans de campagne, sir Gilbert se rendit auprès des différentes cours de Toscane, de Sardaigne, de Rome. Il y résida durant deux mois, étudiant en secret leurs dispositions, négociant ostensiblement, non sans de grandes difficultés, toutes les affaires concernant les malheureux réfugiés français emmenés de Toulon sur la flotte anglaise. Sa responsabilité à leur égard était entière, car il n’avait encore reçu aucune instruction de son gouvernement. Il réussit toutefois à assurer tant bien que mal un asile à nos malheureux compatriotes, généralement repoussés de partout à cause de leur qualité de Français. Quelques-uns trouvèrent à s’employer ; d’autres restèrent à la charge de l’Angleterre, et dans une de ses lettres au ministère anglais sir Gilbert n’évalue pas la dépense qu’ils occasionnent à moins de 150 livres (3,750 francs) par jour.

Au mois d’avril seulement, sir Gilbert reçut enfin, avec l’approbation officielle de son gouvernement, les pouvoirs nécessaires pour agir comme vice-roi de la Corse. Les lettres par lesquelles il raconte à lady Elliot les cérémonies de son installation sont écrites d’une manière naturelle qui fait contraste avec le ton des dépêches diplomatiques où sont traitées les affaires plus sérieuses.


« J’ai été couronné jeudi dernier, 19 juin, et je vous envoie le discours de ma majesté, prononcé en français, et qui a produit sur mes sujets l’effet de toutes les paroles royales… Le beau de l’affaire, c’est que George III est roi de l’île de Corse. Il n’y a pas de pays plus charmant que celui où nous sommes… Jamais d’eau si pure et si transparente que celle de la Restonjca, qui coule à Corte : son éclat et sa limpidité feraient lui appliquer l’épithète d’eau précieuse, comme on dit des pierres précieuses. De même aussi que l’on dit des diamans d’une belle eau, on pourrait croire que celle-ci est formée d’une dissolution de diamans…