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les erreurs les plus funestes au pays ; jamais ils n’ont pensé que la liberté politique dût être sacrifiée à l’égalité civile. L’égalité était pour eux la condition première de la liberté, comme la liberté devait être la garantie suprême de l’égalité ; ex unitate libertas. Voilà ce que M. de Rémusat avait démontré d’une façon magistrale. Précisément à l’heure où il écrivait ici même ces fortes pages, un mouvement irrésistible préparait la transformation de l’empire, et bientôt le retour des institutions libérales était salué par de généreuses espérances. Bien qu’il y eût comme toujours des intransigens (on les appelait alors les irréconciliables), les passions des partis semblaient en train de s’apaiser. Voilà le moment que choisit M. de Rémusat pour rappeler à tous, au gouvernement comme au pays, les conditions de cette tentative, c’est-à-dire pour faire apparaître en pleine clarté, d’après les mémoires de Malouet, le véritable but de la révolution française. Le constituant qui avait toujours été un modèle de sagesse et de modération, le monarchiste libéral que Marie-Antoinette présentait à son fils en disant : « C’est M. Malouet, n’oubliez jamais son nom, » un tel homme pouvait être invoqué en témoignage auprès des esprits les plus timides ou les plus circonspects.

Aujourd’hui paraît la seconde édition des Mémoires de Malouet[1], et cette édition, avec les documens nouveaux qui la complètent, fournit des applications aux circonstances actuelles, comme la première en fournissait à la France d’il y a cinq ans. En 1869, les leçons du sage Malouet s’adressaient aux hommes qui interprétaient faussement le rôle de la monarchie issue de 89 ; en 1874, elles s’adressent à ceux qui tant de fois déjà ont rendu impossible la réconciliation de la France avec la monarchie de l’ancien régime. Parmi les hommes qui s’obstinaient à considérer l’égalité civile comme l’unique but de la révolution française, que devaient penser les esprits vraiment sincères lorsqu’on leur faisait voir un Malouet, ce type de droiture et de prudence, inflexiblement dévoué aux principes de la liberté politique ? Parmi ceux qui s’obstinent sous nos yeux à faire de la maison de France je ne sais quel cloître fermé au mouvement du dehors, je ne sais quelle chartreuse où s’enfermerait un peuple fatigué de vivre, que penseront les âmes intelligentes et loyales en écoutant les conseils de celui que la reine Marie-Antoinette signalait d’une voix si expressive à la reconnaissance de son fils ? J’avoue, pour ma part, que ces paroles de la reine retentissent d’une façon étrange à mes oreilles ; quand je les rapproche de tout ce qui a suivi, quand je les place en regard de tant de leçons terribles et d’expiations tragiques, il me semble y voir encore bien plus de

  1. Mémoires de Malouet, publiés par son petit-fils le baron Malouet, 2 vol. in-8o, 1874 ; E. Plon.