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sous la surveillance du commandant de la garde nationale. À ces mots, Malouet se lève, et sans même demander la parole, comme si une force intérieure le poussait, il combat le projet de loi. On l’écoute dans un profond silence, et quand il s’écrie : « Votre intention n’est pas de constituer le roi prisonnier, » toutes les voix de la majorité lui répondent : « Non, non, nous ne le voulons pas. » Il avait obtenu de cette assemblée entraînée par tant de courans contraires un dernier élan de sympathie, un dernier témoignage de respect pour l’institution royale. C’est peu de jours après cette séance que la reine montrant Malouet au petit dauphin lui recommandait de ne jamais oublier son nom. Ces paroles assurément font beaucoup d’honneur à Malouet, j’estime qu’elles en font plus encore à Marie-Antoinette. Si la reine, aux heures frivoles de sa vie, a méconnu Turgot, plus tard, aux heures tragiques, elle l’a reconnu et honoré dans Malouet.

Que de scènes curieuses et neuves nous pourrions emprunter à ces Mémoires ! Les rapports de Malouet avec Barnave, son entrevue avec Chapelier avant les débats du mois d’août 1791 sur la révision de l’acte constitutionnel, l’engagement pris par celui-ci d’abandonner certains points qui seraient attaqués par Malouet, sauf à dissimuler cette manœuvre aux yeux de la gauche en accablant Malouet de reproches et de sarcasmes sur tous les autres points, la crainte qui saisit Chapelier au moment décisif, ce sont là autant de révélations qui nous font pénétrer d’une manière intime dans la vie parlementaire de la constituante. Enfin l’heure est venue pour le roi d’accepter la constitution ou de la rejeter. Dans un cas si grave, il consulte des députés de tous les partis, les jacobins exceptés. L’abbé Maury et Cazalès conseillent le rejet, par des raisons excellentes peut-être en théorie, mais très mauvaises politiquement, puisqu’elles ne tiennent compte ni de l’état de la France, ni de la situation du roi. Les chefs du parti constitutionnel, Lafayette, Lameth, Barnave, Duport, Thouret, après une longue conférence chez le garde des sceaux, opinent pour l’acceptation pure et simple. Malouet propose d’accepter en réservant l’avenir, c’est-à-dire en faisant appel à la future assemblée législative pour la réforme de ce qui serait reconnu impraticable et funeste ; on sait quelle fut la décision de Louis XVI, il suivit le parti constitutionnel.

Après tant d’inutiles efforts, comment l’esprit le plus persévérant échapperait-il aux défaillances ? Malouet nous fait ici sa confession en toute sincérité. « Il ne nous restait plus, dit-il, qu’une grande faute à faire, et nous n’y manquâmes pas. C’est la seule à laquelle j’ai coopéré aussi étourdiment qu’aucun autre de mes collègues. » Quelle est donc cette faute ? Évidemment, si la constitution, malgré ses vices, pouvait prévenir la ruine totale de la monarchie, c’était