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pour tirer de l’excès du mal ce qu’ils appellent le rétablissement de l’ordre, il ne recule pas devant l’expression des vérités cruelles. C’est aux membres de l’extrême droite qu’il applique cette sentence : « lorsque les passions ne développent pas l’esprit, elles le rendent stupide. »

Si on relit la Lettre aux émigrans que Malouet publia au mois de décembre 1791 et dont Louis XVI le remercia comme d’un service personnel, on est frappé de voir que ses plus vives paroles n’ont rien perdu de leur à-propos. Il y a encore des émigrans, il y a encore des sectaires qui aiment mieux sacrifier la France que d’aviser à ce qui est possible, des fanatiques aveugles auxquels Malouet pourrait dire comme en 1791 : « Je vous invite à écouter d’autres conseils que ceux du ressentiment, à juger froidement votre position, celle de la France, celle de l’Europe. » Ceux dont la politique sénile voudrait remettre en cause la révolution de 89 feront bien de relire ce que Malouet disait à leurs pères. Lui qui a travaillé mieux que personne à régler la révolution, il a le droit d’être entendu quand il parle des choses possibles et des choses impossibles. Il est toujours possible de prévenir une révolution, si l’on est vigilant et ferme, si l’on prend l’initiative des réformes nécessaires, si l’on réprime les abus et les iniquités, si le gouvernement, fidèle à son principe, est et demeure le rempart des libertés publiques. A-t-on manqué à ce devoir et laissé la révolution éclater, il est encore possible de la régler, de la contenir, de la conduire vers le but que poursuit la raison générale. Ce qui est impossible, c’est de rétablir, non pas un régime violemment et injustement renversé, mais un régime qui portait en lui-même des germes de mort et qui a succombé à son heure. Le jour où a commencé la révolution, Malouet le dit expressément, il y avait trente ans qu’elle était inévitable, il y avait trente ans que la mort avait décomposé les organes nécessaires à la vie d’un état. « La vieille monarchie n’était plus qu’une statue aux pieds d’argile. Des enfans vains, étourdis et méchans sont venus lancer des pierres sur le colosse ; le colosse s’est écroulé. » Et lui, le sage et obstiné défenseur du trône, mais du trône replacé sur le terrain du droit, il ajoute : « Qu’allez-vous faire maintenant ? Croyez-vous que ce soit par les armes et par les argumens de vos pères que vous rétablirez la noblesse, l’autel et le trône ? Vous voulez ramasser les pierres que vous ont jetées les enfans ! Vous avez aujourd’hui des géans à combattre ; cherchez d’autres armes ! » Ces géans dont il parle, ce sont les faits, les droits acquis, les principes entrés dans les mœurs, les intérêts nés d’un nouvel ordre de choses. Pour se mesurer avec eux, c’est-à-dire pour les empêcher de se perdre dans l’anarchie et de perdre en même temps la France tout entière, il faut d’autres armes que des maximes abolies