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dans l’expression, comme on est tenté d’en soupçonner dans le système philosophique lui-même du pessimiste de Berlin. Werther, avouons-le, comme tous les désolés du romantisme, est bien un peu poseur, et si Werther, au lieu de se suicider, s’était lancé dans la philosophie, il est probable que ses idées sur le monde et la vie n’eussent pas sensiblement différé de celles que nous allons reproduire.


II.

L’inconscient, tel est le nom caractéristique donné par l’auteur au principe de la totalité des êtres, c’est-à-dire à l’être unique et identique dont les individus sont les manifestations phénoménales. Cet inconscient est à la fois volonté et idée-objet (Vorstellung). Par là se trouve modifié le point de vue fondamental de Schopenhauer, qui n’admettait que la volonté comme principe métaphysique. M. von Hartmann regarde la Vorstellung, l’idée-objet ou la représentation, comme inséparable de la volonté et devant être coordonnée avec celle-ci en tant que principe métaphysique d’égale valeur. L’inconscient, ou le principe supérieur, les doit contenir toutes les deux, à peu près comme la substance de Spinoza se résolvait dans les deux modes primordiaux, pensée et étendue. Il ne peut y avoir, dit-il, de volonté sans objet, sans but, les deux notions s’enchaînent, et à la volonté inconsciente correspond nécessairement l’idée ou la représentation inconsciente. Nous nous servirons désormais du mot idée pour traduire cette expression de Vorstellung en tant qu’elle désigne l’idée-objet de la volonté, mais en priant ceux qui nous lisent de se rappeler jusqu’au bout qu’à moins d’avis contraire il s’agira toujours d’idée inconsciente.

Le fait majeur qui s’impose à notre attention, lorsque nous considérons l’ensemble des choses, c’est la finalité révélée dans la nature, surtout dans les phénomènes de l’organisme et de l’instinct. Le point de vue téléologique a mauvaise réputation auprès des savans modernes. C’est qu’on le comprend mal et qu’on en a fait des applications arbitraires. On ne peut toutefois l’évincer du champ d’observation. Suivant M. von Hartmann, le calcul des probabilités appliqué à une masse de faits instinctifs ou organiques démontre que la vraisemblance de la conclusion téléologique se rapproche de la certitude au point de se confondre avec elle à une imperceptible fraction près. Si par exemple on réfléchit que, pour voir, l’œil doit réunir treize conditions indispensables que l’on pourrait multiplier encore (nerf optique sensible, rétine, contractilité de la sclérotique, iris, pupille, etc.), que ces conditions existent déjà au moment de la