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Mon histoire était finie ; Tristan s’est levé gravement et m’a tendu la main : — Je te remercie de m’avoir conté cela ; maintenant chaque fois que je repasserai devant la ferme, je donnerai une pensée à Fleuriot.


12 septembre. — Ce matin, en regardant du haut de Montgérand les pentes du Val-Clavin, qui commencent à se teinter de jaune et de pourpre, je ne pouvais me lasser d’admirer la variété des essences qui croissent dans cette partie de la forêt. — Oui, s’est écrié Tristan, les gens du monde s’imaginent que les bois ne sont peuplés que de trois ou quatre grandes espèces dominantes, comme le chêne, le hêtre, le sapin ou le châtaignier ; ils ne se doutent pas qu’à côté de ces races princières il y a le menu peuple des arbres, dont les physionomies sont tout aussi originales. C’est ainsi que, dans la profonde forêt de l’histoire, on ne voit d’abord que certaines personnalités héroïques et absorbantes ; mais, si on prend la peine de plonger plus à fond et d’étudier les individualités obscures et négligées, on découvre des caractères curieux et des figures intéressantes. Celui qui écrirait une monographie des essences secondaires trouverait là matière à des observations neuves et utiles. Il y a le charme par exemple, ce cousin germain du hêtre ; ceux qui n’ont pas vu une futaie de charmes ne peuvent se faire une idée de l’élégance de cet arbre aux fûts minces et noueux, aux brins flexibles, au feuillage ombreux et léger. Et le bouleau ! que n’aurait-on pas à dire sur la grâce de cet hôte des clairières sablonneuses, avec son écorce de satin blanc, ses fines branches souples et pendantes où les feuilles frissonnent au moindre vent ? En avril, toutes les veines du bouleau sont gonflées d’une sève rafraîchissante ; nos paysans enfoncent un chalumeau à la base du tronc et y recueillent un breuvage limpide et aromatique. J’en ai goûté une fois, et, grisé par cette pétillante liqueur, je me suis couché au pied de l’arbre en proie à une délicieuse hallucination. Il me semblait que dans mes veines circulait et fermentait la sève des plantes forestières, et que moi-même j’allais verdir et bourgeonner. J’étais devenu un bouleau ; l’air jouait mélodieusement dans mes ramures couvertes de chatons en fleur, les fauvettes chantaient dans mes feuilles, et les sauges odoriférantes s’épanouissaient à ma base… C’était un enchantement, je t’assure ! — Je ne te nommerai que pour mémoire l’érable, à l’écorce rugueuse et aux feuilles tridentés, le frêne, aimé des cantharides, le sycomore, riverain des sources vives, le tremble, au feuillage argenté ; mais je ne veux pas quitter le sujet sans te dire tout le bien que je pense du tilleul, qui peuple nos taillis de son épaisse frondaison.