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pas touché : elle avait bien négligé de faire nommer les municipalités conformément au fuero, mais c’était tout. Le mécontentement se conçoit chez les Navarrais ; quant aux Basques, il semblait que la prudence la plus vulgaire leur commandât de jouir en paix de leur sort et de ne pas se montrer ingrats envers l’Espagne, dont ils n’avaient eu jamais qu’à se louer ; chaque année, la population riche de Madrid venait passer l’été dans le nord, et y laissait des sommes considérables.

Ils se sont soulevés pourtant, ils ont cédé inconsidérément aux excitations du fanatisme, et la faute en est surtout aux propriétaires, à qui revenait de droit la mission de les éclairer et de les diriger. L’absentéisme, malgré les dommages incalculables qu’il amène, se comprend et s’excuse dans les provinces de l’Espagne où la sécurité est à chaque instant menacée et où le propriétaire n’a généralement pas d’habitation ; mais ici, la sécurité était complète, et à chaque propriété est attachée une maison. Les propriétaires, pour la plupart, ont des idées libérales : s’ils résidaient sur leurs terres, au moins quelques mois de l’année, ils annuleraient ou balanceraient l’influence du curé, qui aujourd’hui joue sans conteste le premier rôle. Les relations de propriétaire à fermier sont excellentes dans ce pays : presque jamais de discussion d’argent, les fermages n’ont pas été augmentés depuis fort longtemps, les familles des fermiers sont aussi anciennes dans les fermes que la constitution des majorats, et s’y succèdent de père en fils ni plus ni moins que les propriétaires. Ceux-ci ne manquent jamais de venir en aide à leurs colons dans un cas de besoin. Qu’on ajoute à cela la supériorité d’éducation, et l’on comprendra avec quel respect un propriétaire pourrait se faire écouter. Tout le monde est noble dans les provinces basques, comme on l’a répété souvent, et, à bien voir, cette égalité dans la noblesse constituerait plutôt une sorte de démocratie ; l’inégalité consiste ici dans l’ancienneté de richesse et d’illustration. Ceux qui ont possédé la terre il y a plusieurs siècles, ceux qui ont rempli les charges publiques, sont reconnus de plein gré et par tout le monde comme supérieurs. Jusqu’à ces derniers temps, ils acceptaient volontiers les charges de leur position, et leurs privilèges étaient peu de chose, ou, pour mieux dire, charges et privilèges ne faisaient qu’un, et consistaient à exercer gratuitement et par élection les emplois publics. Les fortunes territoriales étaient du reste assez médiocres. Quand par héritage ou par alliance il arrivait de l’argent à un propriétaire, le meilleur emploi qu’il en trouvait était d’ordinaire la construction d’une maison plus massive que l’ancienne ou ornée de peintures à l’extérieur, l’achat de meubles, d’argenterie pour les usages domestiques et autres choses de ce genre ; en revanche, nul ne songeait