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manifesté si bruyamment sans la mort malheureuse de Concha.

Et maintenant, en admettant que les libéraux l’emportent, comment vont-ils user de la victoire ? Tout se terminera-t-il, comme dans la première guerre carliste, par un traité ou convenio cherchant à ménager les susceptibilités et les ambitions de chacun ? On sait qu’une vingtaine d’officiers d’artillerie, deux ou trois d’état-major, autant du génie, ont passé aux insurgés. Dans l’infanterie, les désertions ont été plus nombreuses, et encore aujourd’hui on lit de temps en temps dans la Gazette officielle de Madrid qu’un ou deux officiers ont, pour cause d’absence, été rayés des cadres, cela veut dire qu’ils sont allés chez les carlistes. Sans doute il y a dans le nombre beaucoup de gens convaincus, carlistes par traditions de famille, par sympathies, mais la plupart ont obéi à des considérations d’une autre nature : une des clauses du traité de Vergara reconnut aux chefs et officiers carlistes les mêmes grades qu’ils avaient dans l’armée du prétendant ; or dans celle-ci l’avancement avait été en général plus rapide, et il arriva souvent que deux anciens camarades, de même grade en 1833, se retrouvaient après 1840 et en vertu du traité, l’un colonel, l’autre lieutenant-général : le premier pour avoir été fidèle à ses devoirs, le second pour avoir trempé dans une insurrection. Il y a plus : quelques-uns s’obstinèrent à ne point accepter les bénéfices de Vergara ; émigrés, ils continuèrent à organiser des tentatives de soulèvement dont la dernière fut celle de San-Carlos de la Rapita en 1860, et cependant à mesure qu’ils perdaient l’espoir et voyaient le trône d’Isabelle II plus affermi, ils demandaient l’application du traité de Vergara et l’obtenaient toujours. C’est ce précédent funeste qui contribue à entretenir la guerre civile et fournit aux rebelles des officiers instruits et expérimentés. Les transfuges dont nous parlions trouvent dans le camp carliste le meilleur accueil ; généralement on leur donne un grade comme bienvenue. Si au moment de faire la paix, lorsque les carlistes, épuisés d’un effort hors de proportion avec leurs ressources, se verront dans l’obligation de se soumettre, le gouvernement libéral montre envers eux la même indulgence et la même faiblesse, il sèmera pour l’avenir dans le pays, comme ses prédécesseurs de 1840, un germe de nouvelles discordes.

On peut en dire autant des provinces basques et des fueros. Ces ingrats conserveront-ils, en dépit de toute justice, leur situation exceptionnelle et imméritée ? Les dépenses de la guerre pèsent lourdement sur le trésor ; elles achèvent de l’épuiser, elles l’obligent à un accroissement onéreux de la dette publique. N’est-il pas élémentaire de faire retomber pour leur part sur les rebelles le poids de l’intérêt perpétuel qu’il faudra payer ? Verra-t-on se maintenir