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est moins bonne, même avec les réformes qu’elle vient d’opérer. Le nombre de ses créanciers est immense chez nous, ils se rencontrent jusque parmi les plus modestes fortunes. Les ouvriers, les domestiques, ont acheté volontiers de ces valeurs à lots ou à gros intérêt qui ont bien aidé aux dépenses de leurs ménages. Jusqu’à présent, la Turquie, une fois seulement et temporairement, s’est montrée mauvaise débitrice pour les mandats des ministères, sortes de billets escomptés par de gros capitalistes : ceux-là ont protesté à l’échéance des traites impayées, mais ils n’ont pas fait grand bruit ; à l’exception du cas tout particulier que nous avons signalé, et qui ne s’est appliqué qu’à une petite partie d’une opération de 40 millions, ils ont au contraire continué jusqu’au bout de soutenir leur débiteur, faisant le très bon calcul qu’en agissant ainsi, en consentant à de nouvelles avances, ils sauvegardaient leurs intérêts antérieurs et donnaient aux anciens prêts une chance de remboursement. L’événement leur a donné raison, et la conclusion de l’emprunt nouveau en 5 pour 100, après avoir assuré le remboursement de tous les mandats particuliers et le fonctionnement de l’exercice 1874, peut inaugurer une ère de véritable prospérité pour la Turquie. L’ingérence dans le règlement de ses finances d’hommes de compétence et d’honorabilité incontestables, comme les administrateurs français et anglais de la banque ottomane, doit inspirer au public toute la confiance nécessaire et amener ainsi la conversion des anciennes dettes en 5 pour 100 extérieur ; c’est le cas surtout pour l’emprunt des vilayets, qui va exiger en trois exercices à partir de 1876 un amortissement de 278 millions. Une conversion entière sauverait la Turquie : mais il n’y a plus pour elle de faute à commettre ; il lui faut à l’avenir payer exactement ses dettes sous peine de mort. Il ne s’agit plus en effet aujourd’hui seulement du crédit, il s’agit de l’existence même de l’empire : si la question de l’équilibre européen, sur laquelle la diplomatie du commencement du siècle a tant discouru, semble mise à l’écart, la protection des prêteurs étrangers de la Turquie peut donner lieu à des complications prochaines. Nous venons de voir en Égypte une commission internationale forcer la main au sultan et au khédive pour résoudre violemment et dans un sens contraire aux décisions de la justice française le litige particulier soulevé entre la compagnie du canal de Suez et les propriétaires de navires étrangers sollicitant d’être admis à la faveur du passage ; un tel précédent ouvre la voie à de bien autres interventions : plus encore que l’Égypte, la Turquie a tout à craindre, si elle blesse, et surtout contre le droit et la justice, les intérêts européens, qu’elle aura de plus en plus associés à ses destinées.


BAILLEUX DE MARISY.