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meilleure amie de sa mère. Il évita de répondre en pressant Patty pour les préparatifs du bal.

On dansa presque toute la nuit ; Morton, cela va sans dire, ne quitta guère Patty, qui, sûre d’être aimée, confiante dans la réconciliation avec son père, rayonnait comme une jeune reine, parée d’antiques pendans d’oreilles qu’on se transmettait par héritage dans la famille de sa mère, et d’une robe neuve de percale anglaise que lui enviaient ses compagnes. La jolie Betty Harsha ne manqua pas de cavaliers ; mais elle les aurait donnés tous pour danser une fois avec Morton Goodwin.

Pendant ce temps, M. Magruder prêchait. Brady, en accompagnant le soir au meetings Kike et sa mère, chez laquelle il logeait, leur avait déclaré son opinion sur le compte des méthodistes : — Je ne suis pas de ces gens-là. Mes parens m’ont fait baptiser membre de l’église épiscopale, mais il me semble cependant que les méthodistes sont les seuls qui puissent faire du bien à des gens de notre espèce. Que deviendrait ici un curé de la vieille école ? Il parlerait grammaticalement que personne ne s’en trouverait mieux. Avec toute ma grammaire, je ne peux empêcher mes élèves de placer le nom de Dieu au nominatif avant de très vilains mots, n’est-ce pas, Kike ? Les méthodistes sont étroits ; soit ! il n’y a de courant bien fort que dans les lits bien resserrés. J’ai lu l’histoire, et, croyez-moi, les méthodistes, comme les vieux puritains d’Angleterre, ne sont des torrens irrésistibles qu’à cause de cela. Si Magruder décide nos gars à renoncer au jeu, à l’ivrognerie et au blasphème, je ne vois pas grand mal à ce qu’il les convertisse. Peut-être, une fois convertis, ne seront-ils pas si pressés de scalper leurs oncles ; qu’en dis-tu, Kike ?

Kike put se dispenser de répondre, car déjà ils avaient atteint la porte du colonel Wheeler. En dépit du bal chez le capitaine, la maison de son ennemi était pleine ; on était venu de loin. Entre les deux chambres, qui communiquaient, une place avait été réservée pour le prédicateur, qui non sans peine se fraya passage à son retour de cet oratoire favori du dévot méthodiste : la forêt. Magruder conduisit lui-même le chant d’une voix de stentor en secouant frénétiquement ses cheveux hérissés, il pria de façon à faire trembler les vitres, comme un homme qui parle face à face au juge tout-puissant des générations. La conviction la plus profonde vibrait dans son accent, et, à un point de vue pratique, ce cri d’un cœur auquel le doute fut toujours inconnu est plus efficace que la théologie et la logique conjurées. Quand il lut son texte, qui était « n’affligez point le Saint-Esprit, » il parut à ces âmes simples qu’un prophète mît leur cœur à nu. Magruder ne savait ni l’hébreu