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REVUE. — CHRONIQUE.

pemens brillans, on a de l’éloquence quand on peut, et l’autre jour, à Étrepagny, dans cette petite ville de Normandie si cruellement éprouvée par la guerre, maintenant réédifiée par le travail, M. le duc de Broglie a sûrement fait entendre le langage du patriotisme ému, éclairé et guidé par la raison. Des discours, c’est encore le beau côté. Dans la pratique, tout change ou plutôt tout se reproduit. Les routines refleurissent dans les administrations. Les réformes imposées par les circonstances, on les ajourne ou bien on les poursuit avec distraction, souvent avec un esprit qui les rend stériles. Les passions de partis, plus que jamais réveillées et entretenues par l’incertitude universelle, se jettent sur toutes les questions d’intérêt public pour les obscurcir et les rabaisser. Les disputes de mots remplacent les choses sérieuses. Les rivalités personnelles, les subtilités de tactique, les habiletés de stratégie, voilà la grande affaire dans un pays qui attend au moins une direction de ceux qui sont chargés de le conseiller ou de le gouverner. C’est malheureusement ainsi, et on ne se dit pas que ce qui à la rigueur était possible dans les jours heureux ne l’est plus ou est déplacé dans les jours d’épreuves, qu’après les crises violentes il y a des nécessités nouvelles devant lesquelles on est tenu d’avoir une autre manière de penser et de se conduire. On ne s’aperçoit pas de la disproportion profonde qui existe entre la réalité des choses et ces antagonismes vulgaires, ces égoïstes querelles de partis, ces combinaisons fuyantes, ces commérages qui se donnent pour de la politique, qui n’ont d’autre effet que de tenir tout en suspens au moment où tout serait à faire pour le bien du pays.

Vous croyez peut-être que le plus pressé serait de préparer les élémens sérieux de cette organisation dont on parle tant, de combiner des institutions précises et fortes ? Pas du tout, il s’agit de disserter, de faire de l’esprit, et de ne pas oublier surtout son intérêt de parti ; il s’agit de savoir si on aura le septennat « ouvert » ou « fermé, » si ce septennat sera la « préface de la monarchie, » ou la « préface de l’empire, » ou s’il ne sera la préface de rien du tout. — Vous vous figurez sans doute que la France a aujourd’hui assez d’affaires sérieuses pour ne point s’intéresser à tous les bavardages, à toutes les inventions d’oisifs, et que ce n’est pas le moment de diminuer ceux qui ont été les plus éminens représentans du pays, de les poursuivre de dénigrantes polémiques ? C’est une illusion. L’important est de surveiller M. Thiers, de le suivre partout où il va et même où il ne va pas, au château de Vizille, chez M. Casimir Perler, ou en Italie, de raconter comment il se comporte avec les gendarmes qu’il rencontre sur son chemin, — et M. le préfet de Lyon doit positivement avoir du temps à perdre pour se mêler de ces sortes de choses. Au besoin on comptera le nombre de personnes qui sont allées recevoir l’ancien chef de l’état, on raillera les marques de respect dont il est l’objet ; on va même jusqu’à traiter M. Thiers en radical allant chercher la popularité et les ovations pour éclipser les hommages rendus à M. le