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opposer que des efforts décousus, l’inexpérience d’un gouvernement improvisé par une révolution, les murs d’une capitale assiégée, la bonne volonté des armées novices de province, les tronçons d’une nation essayant de se rejoindre. On disputait comme on pouvait, dans l’obscurité, dans la confusion, et non certes sans honneur, ce sol de la France que l’empire en tombant avait livré sans défense à l’ennemi. Tant que Paris restait debout, tant que des armées pouvaient tenir la campagne, l’espoir de lasser la mauvaise fortune, de faire reculer l’invasion, ne laissait pas même le temps de réfléchir. Les fiévreuses surexcitations du combat faisaient tout oublier ou tout subir, l’aggravation des malheurs de la guerre, l’épuisement des ressources, le progrès de la désorganisation publique par les déchaînemens révolutionnaires, l’incohérence d’une dictature agitatrice mêlant les entraînemens de parti aux entraînemens de patriotisme. On vivait d’illusions entretenues, encouragées par le mystère qui semblait envelopper encore le dénoûment du tragique conflit. Maintenant, par l’armistice du 28 janvier 1871, le voile se déchirait brusquement et laissait entrevoir l’inexorable vérité de la situation militaire et politique, telle que l’avaient faite la force des événemens et la faiblesse ou la présomption des hommes. La réalité militaire, c’était Paris rendu et désarmé, l’invasion déchaînée jusqu’aux limites de l’Auvergne et de la Bretagne, maîtresse d’une partie de la France et menaçant le reste, la défense démantelée et frappée au cœur. La réalité politique, c’était une anarchie à peine contenue par un pouvoir dénué de sanction, divisé et dépopularisé par l’insuccès ; c’était le pays placé entre la guerre avec l’ennemi et la guerre avec lui-même, la passion révolutionnaire prête à se faire une arme de nos revers et à les aggraver, l’exaspération chez les uns, la tristesse découragée chez les autres, l’anxiété partout. La réalité politique enfin, c’était cette fatalité d’une séparation prolongée se terminant tout à coup par une catastrophe, laissant entre la ville et la province des suspicions, des défiances, de redoutables malentendus.

Voilà l’inexorable vérité qui éclatait à la lumière de l’armistice du 28 janvier, dans cette trêve de quelques jours laissée à des vaincus pour se reconnaître, pour se demander ce qu’ils pouvaient encore, de sorte que ces cinq mois de combats, d’épreuves et de déceptions conduisaient la France à cette extrémité où elle se trouvait en face d’une double question : — question de paix ou de guerre avec l’Allemagne, question de paix intérieure ou de révolution. Le dernier mot, l’épilogue de la tragédie sanglante était là, et c’est pour dénouer ce drame, c’est pour régler ces terribles comptes, que se réunissait une assemblée qui avait du moins l’avantage de mettre le