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Saint-Pétersbourg, M. le général Fleury, à la veille de Sedan. Que disait-il donc ce télégramme du 30 août 1870, où l’on a voulu voir une garantie de l’intégrité française promise à l’empire, fatalement détruite par le 4 septembre ? Il disait simplement que l’empereur Alexandre II sentait le danger d’une « paix basée sur une humiliation » de notre pays, si la France devait être « finalement vaincue, » qu’il signalait ce danger à son oncle le roi Guillaume, qu’il se promettait, « le moment venu, de parler hautement, » mais qu’on ne pouvait se dissimuler « combien l’empereur était dominé par les influences prussiennes. » Ce n’était point à coup sûr un engagement, et la Russie ne s’engageait pas avec la France parce qu’elle était déjà engagée avec la Prusse. Qu’il y eût un traité récent ou plus ancien, répondant aux arrangemens secrets qu’on supposait exister entre la France, l’Autriche et l’Italie, on n’avait pas même à le chercher, puisqu’il n’y avait qu’à regarder pour prendre en quelque sorte l’alliance sur le fait, puisqu’on savait que dès le mois d’août une déclaration du tsar était arrivée à Vienne pour immobiliser l’Autriche, pour la menacer, si elle faisait un mouvement dans notre intérêt. Ceci suffisait pour fixer d’avance la limite des sympathies que la France rencontrait en Russie après comme avant le 4 septembre ; ces sympathies allaient jusqu’à des lettres de souverain à souverain, jusqu’à des recommandations confidentielles et vagues de modération, elles ne seraient allées en aucun cas jusqu’à une démonstration de gouvernement, jusqu’à une manifestation inquiétante pour la Prusse. L’empereur écrivait au roi Guillaume pour lui conseiller de ne pas aller trop loin, le roi ne répondait pas ou il répondait qu’il avait à consulter l’Allemagne, et c’était tout.

En réalité, les premiers momens passés, la Russie avait ses vues particulières, qui ne tardaient pas à se dévoiler. Elle voulait profiter des circonstances, du désarroi de l’Europe, pour effacer la dernière trace de la guerre de Crimée, pour reconquérir sa liberté dans la Mer-Noire par l’abrogation au moins partielle du traité de 1856. La Prusse aidait la Russie dans l’accomplissement de son dessein, la Russie à son tour aidait la Prusse, non-seulement en s’abstenant elle-même de toute pression importune dans les affaires de France, mais encore en décourageant, en empêchant les tentatives des autres, en faisant pour ainsi dire la police autour du champ-clos où se débattaient nos destinées. L’entente au fond était complète, et ce qu’on n’apercevait pas distinctement alors, ce qu’on pouvait tout au plus soupçonner allait bientôt éclater dans les dépêches de félicitations mutuelles échangées entre les souverains devant la France définitivement vaincue. « La Prusse, disait Guillaume à son impérial neveu de Pétersbourg, la Prusse n’oubliera jamais qu’elle vous est