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100,000 hommes pour contenir l’insurrection des départemens envahis, 100,000 hommes au nord, 100,000 hommes sur Lyon ? En fin de compte, à quelle condition Chanzy lui-même croyait-il la lutte possible ? Il fallait « organiser la guerre de détail, la défense du sol pied à pied, la résistance derrière tous les obstacles, » à l’abri de chaque buisson. « Les armées ne devaient être que des points d’appui, des moyens ménagés pour profiter habilement des fautes de l’ennemi, » pour le lasser et se préparer par un suprême effort à le rejeter épuisé hors du territoire. S’il fallait tout cela, ce n’était qu’une autre manière de dire qu’il n’y avait plus rien à faire, puisqu’on ne pouvait demander sérieusement cette insurrection universelle, cette défense pied à pied « avec toutes ses obligations et ses conséquences, » à un pays atteint jusqu’au cœur, « atterré de ses défaites. » Le moyen était plus héroïquement désespéré que pratique.

Assurément, quelque décision qu’on dût prendre, il fallait faire bonne contenance. Il y avait de la dignité, même quelque avantage à laisser comprendre à l’Allemagne qu’elle ne disposait pas de la France, « que la revanche était possible, si dans son orgueil elle nous forçait à la vouloir. » Il fallait surtout se préparer à tout événement pour l’expiration de l’armistice, se mettre en garde contre une soudaine reprise d’hostilités, et c’est ce que le général Chanzy faisait avec une ardente prévoyance, comme si la guerre avait dû continuer. C’était d’autant plus nécessaire que par les positions qu’il avait eu l’habileté de s’assurer dans l’Yonne, dans le Loir-et-Cher, dans l’Indre-et-Loire, l’ennemi pouvait du premier coup tourner Bourges, ou, en se jetant sur la Basse-Loire, essayer de séparer du sud de la France notre armée qui se trouvait sur la Mayenne. Dès les premiers jours de l’armistice, Chanzy ne s’y était pas mépris ; il avait proposé tout un plan nouveau qu’il faisait accepter à Bordeaux et qu’il se hâtait d’exécuter. Laissant la défense de la Bretagne au général de Colomb, avec le 17e corps, la division Goujard, la division Saussier, les forces de Charette et de Cathelineau, il transportait le reste de son armée sur la rive gauche de la Loire : le 16e corps en avant de Châtellerault, le 21e à Loudun, le 19e de Loudun à Saumur. La « deuxième armée, » — elle gardait encore son nom, quoiqu’il n’y eût plus de première armée, — allait se relier au 26e corps appelé à Argenton, et par là au 25e corps du général Pourcet, qui se trouvait à Bourges. Tous ces mouvemens devaient s’exécuter et s’exécutaient en effet de façon que l’ennemi, massé sur la Loire, rencontrât devant lui, à l’expiration de la trêve, une nouvelle ligne de défense assez forte au centre, au confluent de la Creuse et de la Vienne, couvrant par la gauche le sud-ouest, par la droite le