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l’empereur Alexandre Ier de Russie promettait au duc de Richelieu de refuser sa sanction à ces convoitises de la conquête ? On peut dire que cette fatale négociation de 1871 a eu, elle aussi, sa carte désormais historique, tracée par l’implacable orgueil de la puissance et demeurée comme l’expression saisissante des prétentions premières du vainqueur. Cette carte n’étendait pas seulement la domination allemande à l’Alsace, ce qui était facile à prévoir, elle nous enlevait la plus grande partie de la Lorraine, et Belfort à la frontière de l’est comme Metz à la frontière du Luxembourg. Elle reportait la défense possible de la France dans l’Argonne, en Champagne, au plateau de Langres et à Besançon. Ce n’est pas tout : sans parler des contributions de guerre dont l’invasion avait chargé le pays et qu’on ne voulait pas compter, pas plus qu’on ne voulait tenir compte de la part des régions conquises dans la masse de la dette française, on demandait une indemnité de six milliards. Toutes ces exigences, déjà si démesurées, étaient enfin complétées et aggravées par des garanties d’occupation temporaire, par des précautions jalouses, minutieuses, au sujet des forces militaires que la France allait retrouver. En un mot, l’Allemagne, en étendant ses conquêtes sans mesure, en accablant le pays d’exactions, semblait se proposer de laisser la France démembrée, ruinée, exaspérée et impuissante à se relever de longtemps.

C’est là ce que M. Thiers avait à discuter comme des propositions de paix pendant ces heures dont M. de Bismarck parlait si lestement, qu’il pouvait compter comme des heures de triomphe pour lui, et qui étaient sûrement des heures d’angoisse pour le négociateur français. Des conditions d’argent, il y avait encore moyen de les accepter ou de les subir, pourvu qu’on les adoucît un peu et qu’on se prêtât à des combinaisons praticables de paiement gradué, pourvu surtout qu’on laissât à la France la possibilité de se relever et de faire face aux engagemens qu’elle prendrait. Ce que la France paierait pour la guerre, elle le réparerait par le travail de la paix, on pouvait s’y résigner. La question la plus grave, celle qui dominait et résumait toutes les autres, c’était évidemment la question de territoire, et, sans rendre les armes sur le reste, M. Thiers concentrait naturellement son énergie dans la défense de l’intégrité nationale ou du moins de ce qui pouvait encore être sauvé de cette intégrité. Là était le point vif, le grand objet de lutte entre M. Thiers et M. de Bismarck. Tantôt le roi voulait absolument étendre la zone de conquête au sud de Metz parce que son armée, au 16 et au 18 août 1870, avait couvert de ses morts ces terrains de Saint-Privat, qu’il appelait « le champ funèbre de la garde prussienne. »

Tantôt les militaires voulaient garder Belfort comme complément