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fit sa harangue : sa cour souveraine, dit-il, n’avait pu jeter les yeux sur l’édit favorable aux protestans qu’avec une extrême tristesse, les soupirs au cœur et les larmes aux yeux ; le moyen de rétablir la paix avec les hommes était de la commencer avec le Seigneur ; admettre ceux de la religion prétendue réformée aux recettes générales et particulières, c’était remettre aux mains du parti tous les deniers de France, autant de trésors assemblés pour fournir aux dépenses de la guerre civile, pour se rendre maîtres des places ou bien acheter les consciences. Les admettre en particulier aux offices de la chambre des comptes, c’était y introduire la division, puisque ce qui a coutume de lier étroitement les hommes, c’est-à-dire la communauté de religion, ferait défaut.

Après avoir écouté en silence, le roi répondit que, si les honorables membres de sa chambre des comptes avaient pleuré en lisant son édit, ils avaient eu, pensait-il, le temps de sécher leurs larmes. Il ne fallait plus parler de partis en France ; le roi empêcherait bien qu’à l’avenir il y en eût ; tout dévoué à la religion catholique, apostolique et romaine, y voulant vivre et mourir, et étant prince de foi, comme il l’avait montré, il entendait être seul chef de son peuple. C’était son envie d’achever en France deux mariages, le premier de sa sœur unique, le second de ses sujets les uns avec les autres : ses deux projets seraient accomplis dès qu’on aurait vérifié son édit de Nantes, ce qu’il attendait qu’on fît au plus vite. « Sur ce, le roi se serait levé, et, se levant, leur aurait donné congé, à cause des inquiétudes que sa majesté recevait de sa médecine. »

En résumé, s’il y eut des occasions où la conduite d’Henri IV et son langage durent sembler passablement arbitraires, par exemple lorsqu’il imposa en mars 1604 à la chambre des comptes un certain Moisset-Montauban, traitant mal famé qui s’était élevé par l’intrigue, il faut reconnaître que, dans la plupart des cas, ses démêlés avec les cours souveraines s’expliquèrent par les fâcheuses extrémités où il se trouvait, auxquelles ce qui restait de vague et d’indéterminé dans la constitution de l’ancienne France ou bien l’inexpérience administrative ne présentait que d’insuffisantes ressources. Quant à la conduite et au langage que tenaient les cours souveraines pendant ce XVIe siècle, qui est comme l’âge héroïque de l’ancienne magistrature française, on peut bien y trouver quelque chose d’intempestif en mainte circonstance, mais elles remplissaient après tout un devoir, elles ne pouvaient être accusées alors de ce qu’on leur reprocha plus tard, c’est-à-dire d’une opposition tracassière et vaniteuse, plus préoccupée des intérêts de corps que des grands intérêts de l’état. L’esprit public les inspirait et les soutenait : leurs chefs s’appelaient les Molé, les Achille de Harlay, les de Thou, les