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de l’égyptologie, personne n’a surpassé M. de Rougé, qui recueillait lui-même l’héritage de Champollion[1]. Ainsi, là où il fallait créer, où les qualités ordinaires ne suffisaient pas, comme si la noblesse du but eût stimulé le génie français, il a montré que ces belles recherches étaient faites pour le passionner. De même autrefois l’archéologie et la paléographie ont eu en Montfaucon et en Mabillon des maîtres qui ont instruit l’Europe. Dans l’histoire des études orientales, personne ne nous conteste une place d’honneur ; l’Institut s’est souvenu des devoirs que lui imposaient de glorieuses traditions quand il a décidé de publier le corpus des inscriptions sémitiques. La merveilleuse patience qui a été longtemps le privilège des bénédictins s’est retrouvée de nos jours chez quelques-uns de nos érudits ; nous avons vu commencer et s’achever sous nos yeux, par les efforts d’un seul homme, telle tâche si étendue qu’elle semblait demander plusieurs existences. La France a en si haute estime les recherches savantes que nulle nation ne les a plus constamment associées à ses entreprises extérieures. Il n’est guère besoin de rappeler longuement que dans les hautes études, à toutes les époques, aux grands maîtres étrangers nous avons presque toujours pu opposer les nôtres. Ce n’est pas là un fait qui soit mis en doute ; mais il nous vient parfois d’outre-Rhin une sorte d’éloge très particulier qui ne nous déplaît pas. M. Théodore Mommsen, en apprenant coup sur coup plusieurs découvertes dues à nos érudits, disait récemment : « Il faut avouer que ces Français ont un pacte avec la bonne chance. » L’activité, la passion de ce qui est important et neuf, un esprit juste et décidé, ne sont-ils pour rien dans ces fortunes dignes d’estime ? Il en est de la science comme de la vie : le hasard n’y fait pas seul les heureux.

Si on met en parallèle les hautes qualités, celles qui sont le privilège de quelques-uns et qui font faire à nos connaissances par des coups de génie des progrès éclatans, la France n’a rien à envier à l’Allemagne ; elle peut même dire avec quelque fierté que nous avons précédé dans cette carrière ceux qui sont aujourd’hui nos rivaux, que plus souvent qu’eux nous avons eu ces intuitions imprévues d’où naissent les grandes découvertes. L’opinion est faite, et depuis longtemps, sur tous ces points ; ce qu’il convient de comparer, ce sont moins les mérites de premier ordre que les méthodes suivies par la foule des esprits laborieux et le nombre même des ouvriers. La supériorité propre à chacune des deux nations est alors facile à définir. Il s’en faut qu’elles aient au même degré d’une part

  1. les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié une récente étude consacrée à Auguste Mariette par M. Desjardins.