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amène la variété des constitutions ; du rapport qui s’établit entre les états voisins, de la rencontre des intérêts et des caractères, naissent les lois qui régissent l’activité extérieure des nations. Un peuple est donc un ensemble de facultés qui se développent par leur force propre, sous l’influence des causes étrangères, sous l’action de l’intelligence s’appliquant à connaître les lois de la nature pour les soumettre à la volonté.

Toutes les études de l’ordre moral rentrent dans cette définition de la science. Les idées sur ce point ne sont pas encore arrivées pour le grand public à un état suffisant de précision ; mais chaque jour y aide davantage. En dehors de cette manière de comprendre l’étude des productions de l’esprit, il n’y a que hasard et demi-vérités. Expliquer les grandes œuvres littéraires, c’est montrer le rapport qu’elles ont avec le caractère des peuples et des temps qui nous les ont transmises, dans quelle mesure elles sont conformes à la perfection telle que nous pouvons l’imaginer. Chercher à une époque les formes et les nuances d’un sentiment suppose qu’on se préoccupe de la vie de l’âme, des variétés qu’elle présente. Chacune de ces recherches est double ; elle veut préciser un trait particulier du caractère d’un peuple ; elle doit contribuer aux progrès de cette science plus générale qui établit les lois de l’activité morale chez tous les peuples et dans tous les temps. Il en est de même de l’histoire, et plus encore s’il est possible. L’explication des événemens, la raison d’être des constitutions qui se succèdent, la cause déterminante des révolutions, ne peuvent être comprises si nous perdons de vue le génie particulier de la nation qui nous occupe ; mais en même temps nous devons tenir le plus grand compte des nécessités qui toujours et partout dominent le développement de l’activité sociale ; ne savons-nous pas, avec Montesquieu, que les lois sont les rapports qui résultent de la nature des choses ?

Quelle que soit dans ces recherches la part des qualités d’intuition, les faits restent toujours la base principale de tout progrès. Plus nous acquérons de faits nouveaux, plus ces faits sont précis, plus la marche de ces études est assurée. Or les faits constituent presque tous le privilège de l’érudition, et ici on voit sans peine combien est importante cette partie de la science. D’ordinaire les faits sont anciens, il faut les soumettre à la critique, connaître la langue des auteurs qui nous les conservent, déchiffrer les documens, étudier les questions d’authenticité, de chronologie, nous entourer de toutes les lumières qui permettent non-seulement de découvrir des nouveautés, mais de les voir telles qu’elles sont. L’érudition est dans l’ordre des recherches historiques et morales ce qu’est l’analyse dans l’étude du monde physique, la condition indispensable