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Quand M. Morgan fut parti, elle se mit à ranger la chambre, et au bruit de son pas léger le malade s’endormit. À peine eut-il rouvert les yeux que Patty souleva doucement sa tête sur son bras et lui lava le visage avec un linge fin. — Ma mère faisait cela, murmura-t-il. J’aimerais bien la revoir.

— Où est-elle ?

Il ne répondit que par un regard méfiant : — À quoi bon porter ma honte à sa porte ?

— Allez, dit Patty, elle supporterait votre honte et tout le reste pour avoir le bonheur d’être ici à ma place.

— Vous devez avoir raison, fit l’homme d’une voix tremblante ; si je pouvais sortir un jour de la mauvaise passe où je me suis engagé, j’irais la retrouver sûrement ; mais mon mal empire tous les jours, je vais mourir, je le sens bien,… le plus tôt sera le mieux.

Patty jugea inutile de le contredire. — Votre mère ne vous faisait-elle pas quelquefois la lecture ? demanda-t-elle.

— Oh ! elle nous lisait la Bible le dimanche, et je me sauvais dès qu’elle prenait le livre. Penser que je donnerais tout au monde pour l’entendre maintenant !

— Laissez-moi vous lire son chapitre de prédilection.

— Comment le connaîtriez-vous ? Je ne me le rappelle pas,

— Mais une femme sait ce que doit sentir une autre femme, répondit Patty, et, s’asseyant auprès de la fenêtre, elle tira de sa poche le Nouveau-Testament. Le blessé tendit l’oreille à la plus vraie de toutes les fictions, la parabole de l’enfant prodigue qui revient nu et affamé dans la maison de son père. Quand Patty, après avoir lu lentement et avec une émotion sincère, leva les yeux vers lui, il fermait ses paupières pour cacher des larmes dont il n’était plus maître. — Vous remarquerez, dit-elle, que le fils prodigue n’a pas attendu d’être meilleur ou mieux vêtu pour retourner chez ses parens.

Elle resta le lendemain encore, qui était jour de congé, et depuis trouva le temps chaque matin avant la classe de rendre visite au malade, dont le docteur ne désespérait plus. Il ne voulait recevoir son déjeuner que de sa main, et lui laissait faire d’ailleurs tout ce qu’elle voulait, lire, prier, parler de repentir, mais Patty cherchait en vain à se rendre compte de l’effet que produisaient sur lui ses exhortations. Un jour, en nettoyant la chambre, elle fut toute saisie de découvrir dans quelque recoin un hideux bonnet en peau de loup et des favoris postiches. De tels déguisemens ne lui permettaient guère de douter du métier qu’avait pu faire son nouvel ami. Lui serait-il possible de convertir un homme coupable de vols et peut-être de meurtre ? Ce jour-là, elle lut, pour lui donner confiance et pour en regagner un peu elle-même, l’histoire du bon larron.