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— J’espère que cela suffira, dit le brigand, quoiqu’il ne soit pas facile de se débarrasser d’un pareil filet ! Je le sais par expérience, ayant compté parmi vos victimes dans le temps.

Anne-Éliza avait écrit en se disant qu’elle pourrait affirmer à Goodwin que ce billet lui avait été arraché par violence ; elle pensa qu’il serait bon d’ajouter que l’auteur de cet attentat satisfaisait ainsi une vengeance amoureuse. Les femmes aiment toujours entretenir leurs amans des passions insensées qu’elles inspirent à d’autres ; mais Pinkey parut lire dans ce recoin ténébreux de sa pensée.

— Maintenant, ajouta-t-il, je ne parlerai que si vous m’y forcez en rétractant ce billet.

— Lâche que vous êtes ! sanglota l’infortunée, scélérat ! monstre !

— Allons ! vous m’avez donné jadis des noms plus doux ! fit Pinkey avec une souriante philosophie.

Et le brigand disparut dans le fourré pour toujours, car il redevint ensuite un certain Louis Goodwin que la crainte de la bande dont il avait fait partie autant que celle des poursuites légales envoya rejoindre sous son véritable nom, qui était son meilleur déguisement, l’armée américaine, aux prises avec la Grande-Bretagne. Il lava de son mieux la tache imprimée à ce nom en se faisant tuer à Lundy’s Lane.

Mais nous anticipons sur les événemens ; nous oublions de montrer Morton retrouvant Patty dans cette même laiterie où il lui avait parlé de son amour pour la première fois, et reprenant au point où elle était restée la conversation interrompue. Malgré elle, Patty se berçait des mêmes rêves, et Morton avait le cœur aussi jeune que dans ce temps-là, en dépit de la discipline sévère qu’il lui avait imposée. Ils lurent ensemble le billet d’Anne-Éliza.

— Pauvre fille ! dit généreusement Patty. Il a dû lui en coûter beaucoup.

Morton ne l’en aima que mieux pour cet élan digne d’elle et de lui.

L’ancien Magruder ne comprit jamais pourquoi les fiançailles de Morton avaient été rompues ; il renonça sagement à s’expliquer un cas que faute d’expérience il avait embrouillé dès le premier jour et répara de son mieux la sottise dont il s’était, sans le vouloir, rendu coupable en sollicitant le circuit d’Hissawachee pour le jeune prédicateur. Ceci permit à Morton de s’installer provisoirement, sans renoncer pour cela au ministère, chez le capitaine Lumsden, dans la double qualité de régisseur du tyran de la colonie, qui se mourait, — et de gendre.


EDWARD EGGLESTON.