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LE
COMTE JOSEPH GORANI
D’APRES SES MEMOIRES INEDITS.

Le comte Gorani fut un personnage célèbre en littérature et en politique au déclin du siècle dernier ; mais il n’est guère connu aujourd’hui que par les biographes de la restauration, qui l’ont beaucoup chargé, parce qu’ils ne le trouvaient pas homme à partir pour les croisades. Quant aux biographes qui sont venus après Michaud, ils n’ont fait que copier les inexactitudes de cet historien ; nous avons sous la main de quoi les prendre tous en faute. Un avocat genevois, M. David Moriaud, a trouvé chez un bouquiniste quatre volumes manuscrits, de grand format et d’une écriture très serrée : ce sont les mémoires autographes du comte Gorani. Le récit est long, touffu, verbeux, écrit d’une main sénile, dans ce français fluide et incorrect que parlent si facilement tant d’Italiens ; on y sent un vieillard fatigué qui bavarde comme Polonius, mais qui a conservé des restes de sagesse et de finesse. Dans ce fouillis de souvenirs souvent insignifians, on rencontre un assez grand nombre de traits heureux, de portraits vivans, d’anecdotes et d’aventures qui peuvent instruire ou amuser, de curiosités qui pourront servir à l’histoire. Et si l’on songe que Gorani fit la guerre de sept ans, fut prisonnier du grand Frédéric, diplomate au service de l’Autriche et du Portugal, voyageur infatigable, écrivain fécond, auteur de pamphlets qui ont fait beaucoup de bruit et de livres sérieux qui ont répandu beaucoup d’idées, aide-de-camp de Mirabeau, qu’il vit de très près, et des girondins, dont il servit la politique, ami de nos encyclopédistes et des philanthropes italiens, aimé de Beccaria, de Charles Bonnet, de Voltaire, qui songea un moment à lui pour le trône de Constantinople, on ne nous reprochera pas d’avoir descendu