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de grosses pierres, afin qu’on put les traverser à pied sec durant les grandes pluies, dans ces maisons et dans ces villas où l’on retrouve la distribution compliquée donnée par Vitruve, où l’on pénètre en client dans l’atrium, en ami dans le peristylum, en maître dans le triclinium et dans le venereum, devant ces fontaines publiques, ces carrefours, sur ces dalles du forum, contre ces murailles historiées des graffiti des enfans, des amoureux et des oisifs de la ville morte, il semble qu’on se rappelle avoir vécu au siècle d’Auguste. Ce qui dans les textes était presque inintelligible devient familier.

Sans les fouilles de Pompéi et d’Herculanum, toute une branche de l’art antique, la peinture, serait inconnue. Sauf les quelques fresques trouvées à Rome au XVIe siècle et les quelques décorations découvertes récemment au mont Palatin, on en serait réduit à parler des peintures antiques à peu près comme les aveugles parlent des couleurs. D’ailleurs les dix-huit cents peintures réunies au musée Borbonico, au Vatican, ou encore en place à Pompéi et au Palatin, ne suffisent pas pour connaître la peinture antique ; mais elles peuvent servir à l’étudier. Mise en comparaison avec les innombrables œuvres des Polygnote, des Panaenos, des Zeuxis, des Parrhasios et des Apelles, mentionnées par les auteurs, la collection, unique au monde, du musée de Naples, paraît bien pauvre. Telle qu’elle est cependant, c’est une précieuse épave d’un art disparu, et qui fut un grand art. Quelle variété de sujets dans ces peintures ! Quelle science et quelle beauté de composition ! quelle vigueur, quelle légèreté, quelle souplesse de touche ! quelle grâce d’attitudes ! quelle noblesse de style ! quelle perfection de dessin et quelle harmonie de couleur !

C’est les yeux encore éblouis par les merveilles de la peinture moderne que renferment les musées, les églises, les palais de Parme, de Florence et de Rome, que nous avons vu pour la première fois les peintures antiques du musée de Naples. Une telle préparation aurait pu rendre sévère pour ces peintures : il n’en fut rien ; nous n’eûmes pas de désillusion. Les peintures de Pompéi et d’Herculanum sont infiniment supérieures à l’idée que s’en forment même les fanatiques de l’art grec. Et cependant toutes leur sont bien connues : mille fois ils ont feuilleté les recueils spéciaux où ces peintures sont reproduites au trait ou en couleur, et ils ont étudié les savans commentaires qui accompagnent les planches ; mais tout autre est l’impression qu’on ressent en voyant les peintures elles-mêmes. À ceux qui les connaissent pourtant bien, ou plutôt qui croient les connaître, elles semblent nouvelles. C’est pour eux comme une révélation. Ils s’aperçoivent que les gravures ne leur