faible part. C’est par là que M. H. Spencer donne raison aux conservateurs, tandis que d’une autre part il accorde aux radicaux qu’il n’y a point de limites aux changemens possibles et aux améliorations probables de l’espèce humaine.
Cette théorie est certainement vraie dans son ensemble, et elle offre aux novateurs et aux conservateurs un terrain de conciliation sur lequel les bons esprits tendent aujourd’hui à se rapprocher. A l’idée des révolutions brusques, qui de la politique avait passé à la géologie, tend à se substituer aujourd’hui la théorie des actions lentes, qui de la géologie revient à la politique. La théorie leibnizienne de la continuité et des infiniment petits, dont on n’avait pas saisi la portée, s’est appliquée successivement à la nature, à l’histoire, à la société. Cette théorie modératrice s’impose à la fois aux impatiens et aux rétrogrades, et, bien comprise, elle devrait introduire parmi nous l’apaisement et un sage esprit de conciliation.
Cependant, si nous reconnaissons les mérites de la théorie de l’évolution, prise dans sa généralité, cette théorie a des écueils auxquels il nous semble que M. Spencer n’a pas échappé, et que nous avons déjà plusieurs fois signalés. Le principal est une sorte de fatalisme qui nous conduirait à croire que les sociétés poussent toutes seules, comme des champignons, et qu’elles vont droit à leur but sans que personne s’en mêle. M. Spencer prévoit l’objection, il la fait lui-même, il y répond ; mais cette réponse ne suffit pas à contre-balancer l’impression générale de tout son livre. Qu’y voyons-nous en effet ? Partout, d’un bout à l’autre, la théorie du ne rien faire et du laisser aller. Au citoyen qui, sur le point de voter, n’a pas le temps d’apprendre la science sociale, et qui demande ce qu’il doit faire, M. H. Spencer répond : Ne faites rien. Au législateur auquel on révèle mille maux déplorables et qui demande comment y remédier, l’auteur répond que les lois sont la plupart du temps un plus grand mal que les maux qu’elles veulent guérir. Aux administrateurs bien intentionnés qui, sans vouloir tout faire, voudraient cependant faire quelque chose, il dit poliment qu’ils sont tellement ineptes que ce qu’ils ont de mieux à faire, c’est de donner leur démission. Aux esprits nobles qui croient aux bienfaits de la liberté politique et désirent améliorer les institutions de leur pays, il répond que les droits politiques ont peu d’importance, et que les formes de gouvernement sont à peu près indifférentes. Aux philanthropes qui, dégoûtés des révolutions et des guerres, espèrent guérir les maux des hommes par l’éducation et par l’instruction, il répond que l’éducation et l’instruction n’ont jamais corrigé personne et sont absolument inefficaces. Aux prêtres et aux croyans qui comptent sur la religion, il apprend que les croyances religieuses n’ont aucune