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Sully. Très suspect toujours sur les questions de personnes, Sully, en ce qui touche d’Épernon, est absolument à récuser. Pour lui, d’Epernon est un ennemi capital, le plus détesté, le plus redouté de tous ceux qu’il s’était faits dans sa gestion hargneuse de la surintendance ; j’en excepte à peine le furieux Soissons, qui voulut, aux premiers jours de la régence, le faire poignarder en plein Louvre, et n’en fut empêché que par d’Épernon lui-même. Or nous savons, par l’exemple de sa mauvaise foi envers Du Plessis-Mornay, si vertement relevée par le secrétaire de celui-ci, que tous moyens sont bons à l’auteur des OEconomies pour perdre ses adversaires aux yeux de la postérité ; les mensonges ne lui coûtent rien. Faire endosser à Henri IV ses sentimens personnels à l’endroit de notre personnage, quelle excellente tactique pour le mettre en mauvais prédicament ! Ajoutez que cela prépare merveilleusement le terrain aux réticences et aux insinuations qui désignent clairement le même d’Epernon comme complice de Ravaillac. Nous avons exprimé notre opinion formelle sur le fait auquel aboutit la conclusion de Sully : il n’y a là qu’une calomnie. N’est-on pas en droit d’en dire autant des griefs et des accusations qu’il place dans la bouche d’Henri IV ? Ne lui a-t-il pas gratuitement prêté mainte chimère, comme l’utopie de la fédération républicaine de l’Europe, contre laquelle le bon sens s’inscrit énergiquement en faux ? Des idées et des sentimens d’Henri IV à toute époque de sa vie, il existe un témoignage irréfragable, sa correspondance. Là il parle directement, sans truchement infidèle. Qu’y trouvons-nous ? Avant comme après la rébellion de Provence, d’Epernon est attentivement surveillé. Aucun symptôme équivoque n’échappe à l’œil vigilant du maître. En nombre de circonstances, d’Épernon subit des reproches qui, pour être exprimés avec d’extrêmes ménagemens de forme, n’en laissent pas moins très nettement percer le mécontentement et la suspicion. Voilà pour le roi. Quant à l’homme, ou l’aversion n’est pas dans son cœur, ou il faut sans ambages le taxer de la pire des bassesses, l’hypocrisie. De tous les correspondans d’Henri IV, d’Épernon est le seul avec Rosny qui reçoive le titre d’ami. Admettons à la rigueur qu’il n’y ait dans le privilège de cette formule qu’une distinction flatteuse comme les aimait la vanité du personnage, comme Henri lui en a conféré d’autres, le droit par exemple jusqu’alors réservé aux seuls princes du sang d’entrer au Louvre en carrosse ; mais le ton de ces lettres dépasse, et de beaucoup,