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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/185

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noirci de tous les vices, coupable en vingt occasions, et tout récemment encore à Fontarabie, de compte à demi avec son fils, du crime de haute trahison, sans parler du parricide de 1610, dont son altesse était toujours inconsolable. Quant au pillage, monseigneur n’y épargna pas ses talens, mais il eut un amer déboire : un million en espèces et en pierreries était déjà mis en sûreté quand il vint, en grande diligence cependant, voler les meubles de l’ex-gouverneur au Château-Trompette. Ce qui restait valait à peine la moitié de cette somme.


VI

D’Épernon survécut près de quatre ans à la chute, définitive cette fois, de son pouvoir. C’est la plus noble période de sa vie. Aucune faculté de son intelligence n’était affaiblie, aucun ressort de cette étonnante nature n’avait perdu de sa vigueur ; nulle sénilité. Les coups les plus cruels vinrent l’atteindre sans le briser dans cet exil de Plassac, que Balzac, son filleul et ancien secrétaire, ne manque pas d’appeler ses marais de Minturnes. À quelques mois d’intervalle, il apprit la fin de deux de ses fils, Candale et le cardinal, morts l’un et l’autre au service de son persécuteur, sans avoir réussi à mettre leur père à couvert de son acharnement ; le moins estimable et le moins b en doué des trois, le seul qui lui fût réellement cher, Bernard, lui était ravi par ce même persécuteur ; il n’avait à ses côtés que les enfans en bas âge de La Valette et sa seconde femme, cause involontaire des suprêmes disgrâces de la maison. Dépouillé, isolé, honni, poursuivi dans sa retraite par la calomnie et les insultes, il opposa une invincible résistance morale à, tant d’adversité ; rien n’abdiqua en lui, ni l’orgueil, ni même l’ambition. Une bassesse envers l’éminence eût peut-être garanti le repos de ses derniers jours, il n’en fut jamais moins capable. Il n’a cessé de regarder la destinée en face, sans illusion, mais sans abattement. Il n’avait pas déserté la lutte, il se sentait de force à la reprendre, il ne s’avouait pas vaincu, il n’a jamais désespéré de survivre à son ennemi. D’ailleurs, point d’attitude de titan foudroyé, défiant encore Jupiter ; il ne se guindait pas à l’héroïque. C’est là un ridicule inconnu aux caractères de cette trempe. Son stoïcisme, qui n’était pas plus de la révolte que de la soumission, n’avait rien du rôle voulu : c’était la nature même de l’homme. Il ne souffrait pas d’être plaint, ne permettait pas même qu’on accusât la fortune de trahison ; avait-il secrètement conscience du bienfait dont il était redevable à ses rigueurs ? Son nom y gagnait la majesté de l’infortune ; pour la première fois, et en dépit de ses calomniateurs, il était entouré de la pitié et de l’admiration de la France. Il ne laissait pas non plus d’être mystérieusement