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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/304

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Weyer quitta Londres, inquiet, mécontent, disposé à brusquer les choses et à faire une demi-violence à l’Europe. M. de Celles ne cessait de lui écrire que le roi Louis-Philippe n’avait pas au début voulu mettre son fils en avant, qu’il avait résisté aux instances de Talleyrand, mais que la France ne pouvait supporter le voisinage d’un Leuchtenberg ; elle ne quêterait pas des voix dans le congrès, elle ne s’engagerait pas d’avance ; mais, l’élection faite, elle serait entraînée et marierait sa cause à celle de la Belgique. M. Bresson tenait à peu près le même langage. L’optimisme de M. de Celles était aussi persuasif que dangereux. Il écrivait à M. d’Arschot le 28 janvier : « Si Nemours est choisi, il y aura un peu de diplomatie, pas de guerre, et la révolution belge est terminée en six mois. L’Angleterre transigera en désirant que la ville d’Anvers soit de la Hanse, comme Hambourg. »

A l’instant même où van de Weyer et le comité diplomatique du congrès se sentaient ainsi pressés, portés à la candidature du duc de Nemours, lord Palmerston frappait le coup qui devait la ruiner. Le 1er février, la veille de l’élection, Talleyrand vit lord Palmerston et lui fit pressentir la nomination du duc de Nemours. Lord Palmerston, pris de court, répondit sans hésiter qu’il la regarderait comme l’union pure et simple de la Belgique et de la France, et que le gouvernement français n’aurait plus qu’à considérer toutes les conséquences qu’entraînerait l’acceptation de la couronne belge. Le coup était rude pour la France ; il l’était plus encore pour la Belgique, qui allait solennellement offrir une couronne à un prince qui ne pouvait l’accepter qu’en déchaînant sur son pays et sur celui qui se donnait à lui tous les malheurs et les périls d’une guerre immédiate.

Le duc de Nemours fut élu le 2 février, à la suite d’un discours de van de Weyer, qui fit valoir avec beaucoup de force les objections que faisait la France au choix du duc de Leuchtenberg. « D’un autre côté, disait-il, vous connaissez l’opinion dominante en France, qui veut que la France reprenne ses limites du Rhin. Eh bien ! le gouvernement français calmera les partisans de cette opinion en nous accordant le duc de Nemours, et sa nomination fera tomber le parti qui pousse à la guerre… A mes yeux, le seul moyen de conserver à la Belgique son indépendance et sa nationalité est de faire un choix que le roi de France et que la France elle-même puissent accepter. » Peu de momens après, le duc de Nemours fut nommé par 97 voix contre 95 données au duc de Leuchtenberg.

Lord Palmerston put être fier de son triomphe, quand Sébastiani lui apprit du même coup (le 4 février) la nouvelle de l’élection du duc de Nemours et la résolution prise par le roi de refuser le trône belge pour son fils. Sa victoire n’eût pas été assez complète, si elle ne fût